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Avignon Off : « Paris-Istanbul », le poids imprévisible de l’exil

par Véronique Giraud
Paris-Istanbul, dernier appel, avec Clémence  Audas, Sédef Ecer, Elena Michilelin Flamminio  ©Vito Flamminio
Paris-Istanbul, dernier appel, avec Clémence Audas, Sédef Ecer, Elena Michilelin Flamminio ©Vito Flamminio
Arts vivants Théâtre Publié le 12/07/2024
Sedef Ecer est venue faire ses études en France, elle ne se pensait pas exilée. Dans Paris Istanbul dernier appel, elle mesure le poids de l’exil, jusqu’à l’amnésie qui l’a frappée.

L’exil est toujours un traumatisme, même lorsqu’on l’a décidé. L’écrivaine Sedef Ecer a quitté la Turquie pour faire ses études en France, s’y est mariée et a eu deux enfants. Installée à Paris, elle ne pensait pas se retrouver exilée malgré elle. Mais en 1980, les chars envahissent les rues d’Ankara et d'Istanbul, le couvre-feu est proclamé,un énième coup d’État porte les militaires au pouvoir. Sa famille est sous le choc, son père, commotionné, se retrouve à l’hôpital. Sa fille pense aussitôt aller le voir, prend son billet d’avion, se présente à l’embarquement, mais le dernier appel pour le vol Paris-Istanbul la laisse dans l’aéroport français. Jusqu’au dernier moment, sa meilleure amie, ses parents l’ont prévenue « ne viens pas, ils arrêtent les gens à la descente d’avion ». Sedef ne s’attendait pas à un tel interdit.

 

La frontière si dure à franchir. Durant les années qui suivent, elle entendra encore ces « ne viens pas » de proches inquiets, n'aura de contact avec eux qu'avec son smartphone. Jusqu’à l’arrestation après le coup d’État manqué contre Erdogan de tous celles et ceux qui, de près ou de loin, peuvent ressembler à un opposant. Sa meilleure amie se retrouvera ainsi derrière les barreaux, sans savoir ce qu’on lui reproche, attendant sa libération prochaine, puis un procès toujours repoussé et trouvant en prison cette mort qu’elle n’attendait pas. Durant ces années, Sedef dénoncera l’injustice faite à son amie, lancera des appels publics qui lui vaudront cette fois l’interdiction de rentrer dans son pays, se confrontant à cet exil qu’elle n’avait pas accepté.

Sa pièce, émouvante, parle à tous les exilés, celles et ceux qui ne retrouvent plus leur passeport au moment d’embarquer, celles et ceux qui ont peur de franchir la ligne de frontière, ou de suivre cette file à l’aéroport qui mène au guichet de police. S’ajoute à cette vie faite de murs qu’on peine à discerner, la mémoire qui joue des tours. Au point que Sedef Ecer confond ses souvenirs propres avec ceux de l’enfant-star qu’elle a été, et qu'elle a oublié. Sa vie de petite fille qu'elle découvre en ouvrant une boîte à souvenirs qui lui a été envoyée de Turquie…

 

La mémoire amie et défaillante. La pièce a été écrite à partir des récits autobiographiques de la dramaturge et romancière (son dernier roman Trésor National sort au Livre de Poche) qui a cofondé avec Fawzia Zouari et Leïla Slimani le Parlement des écrivaines francophones. Sur scène Sedef, alias Defné Keder, joue son propre rôle. Le texte, une autofiction trépidante, gagnera sans doute à être retravaillé au fur et à mesure des représentations, mais les deux comédiennes qui interprètent tour à tour les rôles de l’amie, de l’enfant et de l’agent littéraire pour Clémence Audas, de la mère, du mari, et de la domestique pour Elena Michielin-Flamminio sont au top, jouant l’enthousiasme et la résilience avec un bel humour. Et il faut du recul et de l’humour, qualités essentielles pour accepter l’exil, les années d’attente, les espoirs de retour déçus, la réalité de son pays qui change sans pouvoir l’imaginer. L’émotion est au rendez-vous, dans la chapelle du Carmel, le public y a été sensible.

 

Paris Istanbul, dernier appel de Sedef Ecer. Festival off d’Avignon, Ancien Carmel du 3 au 21 juillet à 19h (durée 1h15). Mise en scène d’Eric Bouvron avec Sedef Ecer, Clémence Audas, Elena Michielin-Flamminio.

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