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Avignon Off : Sultan Ulutas Alopé s’écrit avec La langue de son père

par Véronique Giraud
Sultan Ulutas Alopé incarnant
Sultan Ulutas Alopé incarnant "La langue de mon père" © Jeanne Garraud
Arts vivants Théâtre Publié le 16/07/2023
"La langue de mon père" pourrait n'être qu'une confession intime. Mais le texte de Sultan Ulutas Alopé, née d'un père kurde et d'une mère turque, décrit ce que la langue dit de nous, comment elle nous sépare et nous unit. Édifiant !

Sultan est née à Istanbul, son père est kurde, sa mère istanbuliote. Cette situation pourrait être banale si, en Turquie, être Kurde n’était vécu comme un fardeau. La Turquie moderne a été créée dans le déni d’une nation kurde, avec une politique d’assimilation forcée interdisant de parler la langue kurde en public, et ces montagnards de l’est de la Turquie subissent encore aujourd’hui une grande discrimination. Le « problème kurde » est à la fois politique et social. Sultan le porte en elle depuis l'enfance, il l’a poussé à tenir un journal intime. Elle a décidé de reprendre ses écrits pour construire une dramaturgie, son premier texte de théâtre écrit en français, qu’elle porte seule en scène dans le Off d’Avignon.

 

Un amour indéfectible. Sultan raconte les absences de son père, nombreuses et sans explications, jusqu’à sa disparition du quotidien de sa mère et de ses deux sœurs. Elle ne connait ni la langue maternelle de son père ni sa famille, et s'étonne elle-même d’avoir eu envie d’apprendre la langue kurde alors qu’elle est partie vivre en France. Désœuvrée, alors qu’elle attend d’obtenir sa carte de séjour, Sultan cherche des occupations. S’inscrivant à un cours de kurde, resurgit en elle le souvenir d’une petite enfance condamnée à cacher au monde l’existence de ce père pour échapper aux brimades des voisins et de ses camarades de classe. La condamnant du même coup à ressentir à la fois honte et culpabilité. Mais ce père, qui s’éloigne de plus en plus et dont les retours à la maison s’accompagnent de violence envers sa femme qui a été contrainte de travailler en usine, ne peut rien contre l’amour filial. Lui dont le charme a agi au point que sa mère a défié son propre père, qui ne supportait pas qu’un Kurde passe devant sa maison, pour l’épouser. Lui qui a donné à sa fille un prénom de garçon, Sultan, le prénom de la grand-mère qu’il chérit tant. Lui qui appelle sa fille de cinq ans « mamie Sultan » en posant sa tête sur ses genoux. Elle est sa fille. Il lui a légué le lourd fardeau d’être à la fois kurde et turque par sa mère, et de devoir « choisir son camp ». Il a refait sa vie avec une autre femme dans un autre pays, mais il reste son père. Il tient même un rôle central dans la façon dont la jeune femme se pense, elle lui doit de se sentir « une étrangère », à jamais.

 

Elle qui a étudié l'art dramatique à Istanbul, puis à l'ENS de Lyon où elle développe un mémoire de recherche sur la notion de « jouer dans une langue étrangère et le sentiment d’étrangéité au plateau » sous la direction d’Anne Pellois, enfin au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en tant qu’élève étrangère, transforme ses écrits autobiographiques en projet théâtral. Elle l'incarne et le fait entendre devant un public et en français, une langue qu’aucun membre de sa famille ne comprend. Une langue qui l’interroge, qu’elle interroge « Peut-elle être un gilet de sauvetage ? », « Pourquoi apprendre la langue d'un père qui ne réclame aucune nouvelles de sa famille ? », « Apprendre le kurde l'aidera-t-il à mieux se connaître ? » Une langue, rappelle-t-elle, traverse la culture d'un pays, celle des « droits de l’homme » pour le français, celle du racisme et d’un patriarcat pesant pour le kurde. L’accent, les fautes, parler la langue de l'autre maintient le statut d’étrangère.

 

La Langue De Mon Père Conception, texte, jeu Sultan Ulutas Alopé. Le texte est édité chez l’Espace d’Un Instant. Pendant tout le mois de juillet, seule en scène, Sultan Ulutas Alopé est à La Manufacture dans le Off d’Avignon, à 18h, jusqu’au 23 juillet.

En 2024 : au Théâtre National de Strasbourg du 23 janvier au 2 février, à La Mouche (Saint-Denis Laval) le 6 février, au théâtre de la Croix-Rousse à Lyon du 12 au 14 mars.

 

 

 

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