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Avignon : Olivier Py, l’exalté

par Véronique Giraud
Bertrand de Roffignac, extraordinaire Arlequin de Ma jeunesse exaltée, pièce écrite et mise en scène par Olivier Py. © Christophe Raynaud de Lage
Bertrand de Roffignac, extraordinaire Arlequin de Ma jeunesse exaltée, pièce écrite et mise en scène par Olivier Py. © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 09/07/2022
Pour son ultime édition en tant que directeur du festival d'Avignon, Olivier Py signe une épopée théâtrale survoltée dominée par le personnage d'Arlequin. "Ma jeunesse exaltée" s'adresse autant au public qu'aux jeunes comédiens.

La lettre qu’Oliver Py laisse au public d’Avignon et aux jeunes comédiens, en cette ultime édition à la direction du festival, a pour titre Ma jeunesse exaltée. Elle ne tient pas en quelques lignes, mais noircit de nombreuses pages, et occupe la scène pendant huit heures (dix avec les entractes). Il existe peu d’endroits, excepté Avignon, où l’on programme des pièces de huit heures et plus. Et pour Olivier Py, dont la passion pour le théâtre a quelque chose d’orgiaque, le long format est nécessaire. À 29 ans, jeune metteur en scène, il proposait au public d'Avignon, dans ce même gymnase Aubanel, une épopée de vingt-quatre heures avec La servante. Deux symboles, hier celui de la lumière éclairant la scène quand le théâtre est clos, que les professionnels nomment servante, aujourd’hui celui du feu follet qui caractérise le plus célèbre personnage de comédie, Arlequin.

 

Un extraordinaire Arlequin. Le corps moulé dans son habit de losanges colorés, le crâne enfoncé dans son bicorne, bouillant d’énergie, virevoltant, prêt à tout pour que le théâtre s’immisce jusque dans une rainure de parquet, Bertrand de Roffignac est un extraordinaire Arlequin. Olivier Py l’ancre dans le présent, les deux pieds sur l’asphalte. Livreur de pizzas, il apporte chaque jour avec grâce à un poète oublié le même ersatz de repas, le même poison de gras et de sucre. Et chaque jour, le vieil Alcande jette la boîte à terre sans l’ouvrir, un geste qui interroge et happe Arlequin magnifique crâneur, exhibant un érotisme torride. C’est cette pizza, mets populaire par excellence, qui sert de détonateur à une série de manquements, de grugeries, de profits, de manigances et d’espérances.

 

Confrontant une société perdue dans ses compromissions aux multiples ressorts du théâtre qui sait encore captiver, Olivier Py synthétise le monde installé en un trio infernal : un évêque qui ne connaît pas la religion mais sait tenir les comptes ecclésiastiques, un riche homme d’affaires devenu président de son pays, un ministre de la culture et son conseiller qui jouent de rivalité et de rouerie pour maintenir ou conquérir leur rang et surtout défendre un juteux supermarché de la culture. La femme, à la fois orgueilleuse tragédienne, religieuse déchue et déçue, joue la carte de la mère…

Le monde de demain est incarné par cinq jeunes gens qui, d’abord attirés ensemble par la surpuissance du théâtre qui seul les autorise à exulter en incarnant leurs idéaux, feront tout autre chose de leur existence. Excepté Arlequin qui, guidé par le vieux poète Alcandre, les conduira à jouer leur vie, construira lui-même des stratagèmes et des tours pendables pour confondre les puissants et leur faire perdre leur superbe. Jusqu’à se perdre lui-même un moment…

L’amour qu'Alcandre voue à Arlequin naît du souvenir de sa propre jeunesse, de feu son énergie, sa vitalité, son talent. Et surtout ravive son espérance que cet être de feu poursuive le chemin dont lui-même a été détourné, et parvienne à confondre, par la beauté du verbe et du jeu, les puissants corrompus . Une beauté qui contamine les jeunes comédiens qui, un temps, défendent leurs idéaux en s’arrangeant avec la réalité et avec le mensonge.

 

L’excès, la bouffonnerie, la masturbation, la sodomie surabondent. La surpuissance du théâtre, la sentence verbeuse, la dénonciation des lâchetés religieuses et politiques, sont la marque d’Olivier Py. Le festival d’Avignon fut sa tribune pendant les huit ans de sa direction. Après Orlando ou l’impatience, L’amour vainqueur, Les Parisiens, Ma jeunesse exaltée recèle l’ensemble de ses ressorts et de ses cibles. Les références autobiographiques sont nombreuses, l’Odéon, le rapport au public… Car pour le comédien, metteur en scène et dramaturge, le théâtre c’est tout : son mode de vie, sa spiritualité, un mode d’action politique… et pour le spectateur une énergie, un humour, une dérision qu’on trouve difficilement ailleurs que dans une salle de spectacle ou sur des tréteaux.

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