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Avignon : Richard II, trahisons et légitimité en politique

par Jacques Moulins
Le roi Richard de blanc vêtu (Michel Lescot ), destitué par son cousin Bolingbroke (Éric Challier) © Christophe Raynaud de Lage
Le roi Richard de blanc vêtu (Michel Lescot ), destitué par son cousin Bolingbroke (Éric Challier) © Christophe Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 27/07/2022
Dans une fabuleuse mise en scène de Richard II, sensible, humoristique, dramatique et politique, Christophe Rauck donne au Festival d’Avignon une très belle clôture shakespearienne qui sera reprise aux Amandiers de Nanterre.

Depuis bientôt trente ans, Christophe Rauck monte sur les scènes de France des pièces du répertoire comme des auteurs contemporains, notamment Rémi De Vos, avec un plaisir de la mise en scène et une intelligence du texte qui ravissent ses publics. Il assure également la formation de jeunes actrices et acteurs, particulièrement celles et ceux de l’École du Nord, école rattachée au théâtre national de Lille, le Théâtre du Nord, dont il a assuré la direction entre 2014 et 2021. C’est avec ces élèves qu’il a monté l’an dernier sa première tragédie de Shakespeare, Henri VI. Maintenant directeur des Amandiers de Nanterre, il est venu au Festival d’Avignon avec un autre texte historique de l’auteur de Stratford, Richard II, pièce peu jouée, difficile à rendre dans sa complexité et son actualité.

 

Une création donc, et un grand succès. Christophe Rauck a pris la belle traduction que Jean-Michel Déprats a réalisée pour les éditions Gallimard, une traduction qui, comme la mise en scène, rend aux tragédies de Shakespeare tout l’humour dont elles sont empreintes. On rit donc dans les gradins du Gymnase Aubanel, on rit souvent à l’encontre de l’image rébarbative dont tant de souvenirs scolaires imprègnent injustement le grand dramaturge. Thomas Jolly avait déjà donné à ces tragédies historiques un air de grand spectacle, d’opéra rock, qui avait balayé l’académisme français pesant sur l’auteur anglais, peu avare de réparties bouffonnes, spirituelles, réellement décapantes en ce qu’elle moque le personnage qui les profère sur lui-même.

 

Une pièce politique. Car Richard II est avant tout la tragédie d’un roi destitué. La pièce est politique et va voir s’affronter la lutte pour le pouvoir à travers deux hommes. Mais cette lutte est faite d’ambiguïtés et de trahisons, car tous deux veulent incarner la même conception du pouvoir, la royauté absolue face aux prétentions des barons. Richard tient sa légitimité autant de sa filiation que de la main de Dieu : « Le souffle des humains ne saurait déposer / Le représentant élu par le Seigneur » pense-t-il. Son cousin Bolingbroke, duc de Lancastre, ne peut prendre la couronne en rejetant ce pouvoir absolu dont il aura ensuite besoin. Il le fait donc en jurant sans cesse sa fidélité au roi qu’il va trahir, jusqu’à l’assassinat de Richard dans sa prison qu’il feint de n’avoir pas commandité, envoyant l’exécuteur Exton en exil. Comme au début de la pièce Richard avait envoyé le duc de Norfolk en exil après que celui-ci est exécuté son oncle Woodstock qui lui reprochait d’user des lourds impôts pour ses dépenses fastueuses avec ses jeunes conseillers. Mais ce crime, Shakespeare ne le dit pas, il le laisse entendre.

À l’époque où Elizabeth Ière, dernière des Tudor, est menacée dans son pouvoir par le comte d’Essex, Shakespeare ne peut prendre parti entre Richard et le futur Henry IV. La scène de la destitution sera d’ailleurs censurée car la reine ne supporte aucune allusion à une telle possibilité. Le vrai parti de Shakespeare, c’est de dépasser la factuelle politique par la poétique. Un parti-pris que Christophe Rauck exhausse par le jeu des acteurs, leur diction notamment. Et si Richard nous emporte dans ses émotions, c’est que le personnage vit en lui la contradiction, assumant sa douleur, sa faute « contre l’État et l’intérêt de ce pays », sa destitution et le couronnement d’Henry. Il déchoit en beauté, s’interrogeant sur son rôle, sur son action, sur ses erreurs, sans grandiloquence et avec un recul qui permet humour et poésie sur le monde et son histoire. Le jeu distancié de Micha Lescot est, il faut le dire, formidable. Il donne une grâce, une délicatesse, une fragilité au roi Richard qui n’interdisent ni une certaine grandeur, ni une profondeur dont sont dépourvus les autres personnages, à commencer par le futur Henry IV. C’est de cette grandeur qu’il mourra, non sans rappeler, par ses ruses, par ses doutes, par ses atermoiements, le prince Hamlet. À l’inverse Bolingbroke cache ses mensonges dans une attitude monolithique, incarnée avec justesse par Éric Challier, pour ne pas reconnaître une usurpation qui le consumera ensuite. Avec le soutien de York, autre oncle de Richard que Shakespeare affuble d’un langage comique (parfaitement restitué par Thierry Bosc) qui dit sa fidélité en même temps que sa trahison, Bolingbroke trouve le soutien du peuple et des Communes devant lesquelles il force Richard à admettre sa destitution et à lui transmettre sa couronne, une des plus belles scènes de la pièce.

 

Un écho à notre époque. Le théâtre est politique et donc d’actualité. Christophe Rauck entend dans Richard II un écho à notre époque. « C’est cette envie que les gens ont en ce moment de destituer les gouvernants (…) elle se traduit par la violence avec une volonté de renverser le pouvoir et de faire tomber des têtes » et le metteur en scène d’évoquer « menaces contre des élus, défiance, détestation du Président… ». Une rage qui balaye tout sur son chemin et fragilise le futur pouvoir, ce que Bolingbroke redoute par-dessus tout, qui ne veut jamais paraître pour l’usurpateur que, dans la représentation politique qui est la sienne, il est pourtant.

Les vidéos des vagues projetées sur toute la largeur du fond de scène ou sur un rideau transparent en front, évoquent tout autant la solitude du roi que la traversée de sa flotte partie conquérir l’Irlande. Comme les deux gradins mobiles où les personnages atteignent des sommets avant leur chute, à l’image de la reine Isabelle (Cécile Garcia Fogel) qui, dans les plus subtils vers du poète, se voit forcée de se révéler parturiente symbolique de Bolingbroke pour garantir la légitimité du futur Henry IV : « Ainsi, Greene, tu es l’accoucheur de mon mal / Et Bolingbroke le sinistre enfant de ma douleur. / À présent mon âme a mis au monde son fils monstrueux ». Tout l’art d’un Shakespeare que Christophe Rauck ne réduit jamais.

 

 

Richard II de Shakespeare, création de Christophe Rauck pour le Festival d’Avignon le 20 juillet 2022. Avec Louis Albertosi, Thierry Bosc, Éric Challier, Murielle Colvez, Cécile Garcia Fogel, Pierre-Thomas Jourdan, Guillaume Lévêque, Micha Lescot, Emmanuel Noblet, Pierre-Henri Puente, Adrien Rouyard.

Aux Amandiers de Nanterre du 20 septembre au 15 octobre, à Vélizy-Villacoublay les 21 et 22 octobre, à Pau les 8 et 9 novembre.

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