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Avignon : « Sea of Silence », résistance des migrantes

par Jacques Moulins
Sept femmes prennent le pouvoir dans
Sept femmes prennent le pouvoir dans "Sea of Silence" de Tamara Cubas. © Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 07/07/2024
L’artiste uruguayenne Tamara Cubas travaille sur les migrantes depuis des années. Elle présente au festival d’Avignon Sea of Silence, une tragédie contemporaine où sept femmes refusent, notamment par leur idiome maternel, d’être déshumanisées.

Les migrants sont la proie des passeurs, des policiers corrompus, des mafias qui les rançonnent, les pillent, les torturent, les vendent en esclavage, les violent et parfois les tuent. Le sujet défraie régulièrement l’actualité, de la Méditerranée au Mexique en passant par d’autres régions du monde frappées par la pauvreté, l’inégalité, l’injustice, le colonialisme, la dictature. Dans un roman qui a fait date, le Mexicain Emiliano Monge (Les terres dévastées, 2015, éditions Philippe Rey 2017 pour la traduction française) mettait en scène ces horreurs. Dès le début de ces nouveaux mouvements migratoires, plusieurs artistes ont dénoncé cette humiliation pour l’humanité qu’est le sort fait aux migrants dans de nombreuses expositions. Les années passant, la réaction spontanée face à des migrations qui s’amplifient fait place au travail de fonds.

 

Double peine pour les migrantes. Tamara Cubas s’intéresse au sujet depuis de nombreuses années. Elle-même exilée enfant à Cuba pour fuir la dictature militaire de son pays, l’artiste uruguayenne travaille dans un lieu où agriculteurs et artistes se côtoient. Elle s’est d’abord attachée au sort des migrantes doublement frappées dans l’atteinte à leur dignité humaine, en tant que femmes et en tant qu’exilées dans des parcours qui les déshumanisent, puis dans des pays qui les nient. Au fur et à mesure de ses rencontres et de sa quête, elle a pu voir combien la personne migrante, munie d’un courage et d’une détermination hors pair pour se lancer dans un périple si dangereux, perdait peu à peu de son identité, se transformait, devenait autre sous les coups du sort et des soumissions exigées. Cela lui a rappelé le mythe de Loth qui, dans la Bible, est l’homme chassé pour ne pas avoir livré des étrangers au peuple de Sodome qui réclame leurs corps. Lors de sa fuite, alors que la ville est incendiée par Dieu, la femme de Loth, qui n’a pas de nom dans la Genèse mais est appelée Édith par d’autres écrits, commet l’erreur de se retourner pour voir cette cité qui porte une part de son identité. Cela lui a pourtant été interdit par Dieu qui la transforme en colonne de sel. La femme n’a pas droit à ses racines, ni Loth, ni les migrantes dépouillées jusqu’à leur mémoire.

 

Le sel foulé de la femme de Loth. Cette tragédie va connaître avec Tamara Cubas une autre dimension où la femme n’accepte pas son sort, ne se résigne pas à perdre. Le sol du plateau est couvert de ce sel dont l’homme a puni Édith, mais les sept comédiennes vont le fouler. Et faire bien plus. Car les mots ont leur importance au théâtre et avec eux la langue dans laquelle ils sont dits. Une langue dont la migrante, réduite au silence, est vite privée. Pas dans Sea of Silence où les comédiennes usent de ces idiomes qu’il faut ici tous nommer : espagnol, arabe, mapuche, malais, didxaca, borum, béninois, mapuzügun, jawa, ithok, portugais et anglais. Dans un jeu de scène qui se terminera en ronde groupée, sorte de nouvelle danse rituelle, les comédiennes affirment sans cesse leur identité par ce langage qu’elle crée ensemble, « une manière de reprendre le pouvoir » précise la metteure en scène. Contre le colonialisme et le capitalisme qui les contraignent à l’exil. Contre les hommes qui abusent encore de leurs situations même si elles se refusent à emprunter les routes de l’exil.

 

Sea of Silence de Tamara Cubas, créée au théâtre Solis de Montevideo le 25 juin dernier Sea of Silence, avant d’être repris deux semaines après au Festival d’Avignon, du 4 au 9 juillet. Avec Noelia Coñuenao, Karen Daneida, Dani Mara, Ocheipeter Marie, Hadeer Moustafa, Sekar Tri Kusuma, Alejandra Wolff.

En tournée en août à Berlin et à Zurich.

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