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« Bik Eneich : Un fils », un drame familial dans la Tunisie de 2011

par Stoyana Gougovska
"Bek Eneich : Un Fils", drame d'une famille tunisienne. Au premier plan, Sami Bouajila incarne le père. L'acteur a reçu le prix du meilleur acteur de la section orizonti où était présenté le long-métrage. DR
Le réalisateur Medhi M. Barasaoui, accompagné des acteurs Najla Ben Abdallah et Sami Bouajila à Venise. DR
Le réalisateur Medhi M. Barasaoui, accompagné des acteurs Najla Ben Abdallah et Sami Bouajila à Venise. DR
Cinéma Publié le 22/09/2019
Premier long métrage de Medhi M. Barasaoui, Bik Eneich : Un fils témoigne d’une avancée dans la liberté d’expression du cinéma tunisien, rendant visibles le trafic d’organes comme le tabou de l'adultère. Sami Boualila, qui incarne un père aimant, a reçu le prix de meilleur acteur au Festival de Venise où le film était montré en première mondiale dans la section Orizonti.

Bik Eneich : Un fils est le premier long métrage du réalisateur tunisien Medhi M. Barasaoui. Présenté en première mondiale au 76ème Festival International du Film à Venise, il a reçu un bel accueil. Cette fiction, qui ravive les mois qui ont succédé à la chute du régime de Ben Ali, narre le drame intime d’une famille tunisienne aisée et moderne, poussée à bout par une succession d'événements tragiques. Sortant de la sphère intime, certaines scènes offrent une critique ouverte des lois musulmanes appliquées en Tunisie, de l’islamisme radical et de crimes inavoués pendant cette période. Par son sujet complexe, Un fils témoigne d’une certaine reprise de la liberté de parole par les artistes en Tunisie, notamment les cinéastes qui, depuis la révolution de 2011, l'emportent sur la censure.

Film politique donc, Un fils est avant tout un drame de la filiation et de l’amour paternel. Au centre de la narration, la performance des deux comédiens, Sami Boualila et sa partenaire Najla Ben Abdallah, est très convaincante. Pour son interprétation, Sami Bouajila a d'ailleurs été récompensé par le prix de meilleur acteur par le jury de la section Orizonti 2019.

 

Entre la vie et la mort. Tunisie, 2011. Un voyage en voiture finit tragiquement pour Fares, Meriem et leur fils de 10 ans, Aziz, gravement blessé par une des balles que des terroristes islamiques ont tiré sur la famille. Entre la vie et la mort, le garçon a un besoin urgent d’une transplantation du foie. Mais un lourd secret, gardé par sa mère, refait surface au moment des tests génétiques. Et la législation officielle de la Tunisie rend alors la procédure de transplantation très difficile face à cette situation. Le couple, moderne, libéré et financièrement indépendant, se retrouve alors dans une situation désespérée. Confronté à l'indifférence de l’État pour qu'une vie soit sauvée, le père se retrouve devant un choix crucial voire impossible : dénoncer son épouse pour adultère (puni en Tunisie de cinq ans d’emprisonnement) ou participer au terrifiant trafic d’organes impliquant des enlèvements des enfants de Lybie, de Syrie ou d'Afghanistan, alors en cours dans la région. Si sa fierté d’époux est blessée, l’amour paternel ne faiblit pas.

 

Un contexte social et historique. Le réalisateur situe son film en septembre 2011, précisément neuf mois après la révolution tunisienne et la chute du régime de Ben Ali, quelques semaines avant la mort de Khadafi, qui sera tué le 20 octobre. A Venise, Medhi M. Barasaoui explique son choix : « C’est une période charnière qu'a connu la région dans laquelle je vis, entre la Tunisie et la Lybie. Pour moi c’était important de situer le film à cette période pour lui donner un contexte social et historique. Je n’avais pas la prétention de parler de la révolution, parce que je ne crois pas en avoir la légitimité. Je ne suis ni historien, ni chercheur en politique. Ce qui m’intéressait c’était les répercussions de la politique, des attentats, sur une famille ordinaire. » Le fils oppose aussi le modernisme de ses protagonistes, Fares et Meriem (deux belles carrières, une vie sociale remplie, voyageant à l’étranger) à la mentalité obsolète courante en Tunisie. « Beaucoup de choses ont changé dans cette partie du monde, et je voulais situer mes personnages à ce moment précis, et que le contexte politique reste sous la surface ».

 

La figure paternelle. L'autre marque du film est la façon dont l’ego du père passe au-delà de celui d’époux. « Les dictateurs que nous avions en Tunisie assumaient à certains égards la fonction du père, explique Medhi M. Barasqoui. En renvoyant Ben Ali,  dans notre inconscient nous avons tué le père. » Les événements politiques influencent le déroulement de l’histoire, mais le drame reste familial, intime. « Je voulais que cette famille soit acculée, chaque évènement vient surenchérir. Je voulais tout simplement les mener à bout, qu’ils fassent un voyage initiatique. Jusqu’où aller en tant que père, en tant que mère, en tant que couple, en tant que géniteur. C’est un choix dès le départ ».

La mise en scène, sobre et très réaliste, met le jeu des acteurs au centre de la narration. Sami Boualila, prix du meilleur acteur par la section Orizonti de Venise, raconte : « Je vis en France. La Tunisie est mon pays d’origine, celui de mes parents. Je ne connais pas très bien le pays,  j’y allais petit pendant les vacances d’été. Dès la lecture du scénario j’ai été conquis, j’ai été interpellé par le point de vue du cinéaste qu’il y avait derrière. Ensuite, on s’est mis d’accord avec Medhi pour que je parte un mois là-bas, qu’on m’aide à corriger mon accent et qu’on permette à mon personnage de passer du tunisien au français, ce qui est assez courant en Tunisie. » Sami Bouajila est né en 1966 près de Grenoble. Il a débuté sa carrière d’acteur dans le premier film d’Adbellatif Kechiche, La faute à Voltaire, avant d'être révélé à une plus large audience avec Indigènes, pour lequel il a été récompensé du prix du meilleur acteur au Festival de Cannes 2006. En 2018, il a remporté le César du meilleur second rôle dans Les Témoins, d’André Téchiné. Il a également joué dans Omar m’a tuer de Roschdy Zem.

 

Bik Eneich, long-métrage de Medhi M. Barasqoui, dans la sélection Orizonti du 76ème Festival International du film de Venise. Prochainement en salle.

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