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Mot de passe oublié ?Camille et Manolo transportent en eux et vers le public l’utopie du centaure. Ils ont été adoptés par Marseille en 1995 et ont emménagé en octobre dernier leur nouveau théâtre dans un immense territoire de la ville, qui d'étend du quartier de la Cayolle, réputé pour ses faits divers et sa prison des Baumettes, au parc national des Calanques, magnifique espace naturel protégé. Ce paradoxe est une richesse, un lien, qu’ils cultivent en duo depuis vingt-cinq ans. Femme et homme à la ville, homme et cheval à la scène, Camille et Manolo ont à leur actif des performances étonnantes, la 7e vague, présentée à nouveau en janvier sous le chapiteau, fait surfer deux centaures sur l’idée d’un monde que la finance fait basculer dans le vide. Leur aventure singulière inspire aujourd’hui le travail d’autres créateurs, immenses. Fabrice Melquiot écrit en ce moment sur leur amour et Eugenio Barba les a invités à rejoindre en juin le Danemark où Aarhus est capitale européenne de la culture 2017.
Il y a vingt-cinq ans vous n’auriez sans doute jamais imaginé parler de la finance sur scène, quel est votre rapport au monde ? Le centaure est une image mythologique, un rêve, c’est par le rêve qu’on rejoint le réel ?
C’est le rapport au monde et le rapport à l’utopie. Il faut croire en ses rêves et se battre pour les réaliser. Ce qui est formidable c’est qu’on les partage avec d’autres et que d’autres ont envie de les partager avec nous. C’est une utopie, le centaure n’existera jamais, pourtant cela fait 25 ans qu’il existe, qu’il fait vivre une compagnie avec 15 permanents, qu’il permet des salaires à 45 personnes par an, qu’il part en tournée dans le monde entier, et qu’il vient de s’installer dans la deuxième ville de France où il a construit un lieu totalement impossible. Rendez-vous compte, les centaures sont eux-mêmes architectes, maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage. C’est impossible. Ils ont construit un palais en bois, sans couper un seul arbre. Certaines poutres ont 150 ans, elles viennent d’un bateau, d’une maison, d’un vieux pont. Tous les bois utilisés ont été recyclés. En outre, la construction a été faite avec des charpentiers qui viennent de l’autre côté de la planète, des Indonésiens. Le jour où on a posé la première pierre ici, c’était quinze jours après les attentats du Bataclan à Paris. Tous les politiques étaient là, je leur ai dit : on va faire venir des musulmans, ils viennent de l’autre côté de la planète et ils vont construire un lieu culturel avec nous ici. C’est une très grande chance.
Nous avons passé trois mois avec ces charpentiers, avec un visa de 90 jours. C’était court pour construire écuries, lieux d’accueil, chapiteau, logement des écuyers, etc. Le chapiteau a été conçu il y a dix ans avec Patrick Bouchain. Lui qui travaille sur les terrains vierges et vagues nous a dit je vais vous aider mais c’est vous qui allez faire le boulot. C’est comme ça qu’il travaille, c’est un maïeuticien. Il nous a permis d’être nous-mêmes les architectes concepteurs, dessinateurs, de notre objet. Quand dix ans plus tard on a eu la possibilité de construire ce lieu on s’est dit : on a appris avec Patrick, on est capables d’être architectes.
Quels sont vos projets ?
Camille. Fabrice Melchiot est venu nous voir il y a une semaine. Nous nous connaissons depuis très longtemps, c’est lui qui a écrit notre spectacle Otto Witte et les poèmes de Flux. Un jour il nous a appelé en nous disant : je voudrais écrire un documentaire théâtral sur vous, sur votre histoire d’amour, sur vos œuvres. Il écrit, met en scène, nous ferons les chorégraphies pour deux centaures et une petite fille au plateau. On part sur l’auto-fiction, en même temps ce n’est pas nous qui l’écrivons, ni qui la mettons en scène. C’est un autre artiste qui s’empare de notre histoire.
Manolo. Ce qui nous fait très plaisir en ce moment c’est que ce sont des propositions d’autres artistes qui viennent à nous. Fabrice, mais aussi une autre génération avec Eugenio Barba, qui a 80 ans cette année. C’est un grand monsieur, fondateur de l’anthropologie théâtrale, ami de Jerzy Grotowski, ami aujourd’hui d’Ariane Mnouchkine. Il a écrit de nombreux ouvrages, traduits dans le monde entier, étudiant le corps de l’acteur, et a fondé l’Odin Teatret à Hosltebro au Danemark. Il nous a invités à Hosltebro à créer un festival au printemps prochain, dans le cadre de Aarhus capitale européenne de la culture 2017, le Wild West – Roots and Shoot.
Qu’allez-vous faire au Danemark ?
Manolo. Eugenio Barba nous donne carte blanche, c’est très impressionnant. Il nous a dit : vous êtes complètement libres, il n’y a pas d’enjeu, ni d’argent ni de public ni de presse. Il m’a donné un exemple : il y a quelques années, j’ai fait venir cinq chanteurs lyriques de renommée internationale et je les ai amenés dans une petite rue d’Hosltebro à 4h30 du matin. Ils ont chanté devant la boulangerie pour un spectateur, le boulanger, à l’heure où il pétrit son pain. Je lui ai dit nous pour la capitale européenne de la culture 2013 on a inventé les animaglyphes (c’est un mot qu’on a inventé qui vient d’âme – anima - et dessiner – glyphe), avec l’idée de dessiner avec des animaux dans le paysage. Le principe est de rassembler des dizaines, des centaines, parfois des milliers de personnes, et de faire ensemble un dessin par notre seule présence assemblée. Il ne s’agit pas de dessiner pour des spectateurs, le seul regard de spectateur pourrait être le regard des oiseaux. Il m’a dit OK. On est partis sur cette aventure.
Camille. Nous partons avec toute l’équipe en juin 2017. Tout le monde part et nous emmenons une dizaine d’Italiens avec leurs chevaux. Là-bas, nous rejoindront des centaines de chevaux, de cavaliers.
Manolo. Eugenio parle une dizaine de langues, il a toujours brassé les cultures et a travaillé sur tous les théâtres, analysant les mouvements de l’acteur dans les traditions du monde entier. Il n’avait pas encore analysé les centaures. Pour le premier repérage que j'ai fait avec lui, nous avons passé trois jours devant l’ordinateur à regarder nos performances et nos court-métrages. On regardait ensemble et on discutait après. Lui qui a une immense connaissance de l’acteur tombait sur un acteur de 600 kilos avec quatre sabots, deux têtes, un corps à moitié animal à moitié humain, ça le fascinait. Moi j’étais fasciné par lui.