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« Le Domino noir » ravive le licencieux de l’Opéra Comique

par Véronique Giraud
"Le domino noir", œuvre phare de l'Opéra Comique, est recréé en 2018 dans une mise en scène virevoltante de Christian Hecqu © Lorraine Wauters opera royal de Wallonie
Arts vivants Opéra Publié le 27/03/2018
"Le Domino noir", œuvre donnée à l'Opéra Comique jusqu'au 5 avril, a conservé tout son mystère et sa fantaisie. La recréation virevoltante Valérie Lesort et Christian Hecq fait rejaillir de l'intrigue toute la liberté revendiquée par le livret de Scribe.

Comme pour le titre de l’opéra d’Auber et Scribe, donné ces mois de mars et avril à l’Opéra Comique de Paris, on croit savoir et l’on se trompe. Non, le domino n’est pas un jeu, mais le long vêtement à capuche derrière lesquelles les femmes se dissimulaient pendant le carnaval. Mais oui, c’est aussi un jeu qui n’est pas absent de l’œuvre. Non, l’opéra comique n’est pas l’opérette. Il est né un an avant le décès de Louis XIV qui lui accorda le droit d’exister et doit aux Italiens de Paris le souci de faire vivre le théâtre en dehors de leur concurrent de toujours, la Comédie-Française. Mais oui, l’opérette en est une fille reconnue. Non, l’opéra-comique n’est pas un art désuet qu’il faut sans cesse ranimer pour lui redonner vie. L’institution parisienne en est la preuve qui présente un programme très créatif, en faisant appel à des metteurs en scène et chorégraphes de renom. Mais oui, il n’y a pas eu de création d’opéra-comique depuis près d'un demi siècle.

Le Domino noir, créé en 1837, illustre tout le potentiel d'un genre depuis toujours ancré dans l'actualité sociale et la libération des mœurs (pensons au Sapho de Massenet créé en ce même Opéra Comique). L’intrigue, qui tient tout autant de Marivaux et des Romantiques, est cependant bien antérieure au théâtre de boulevard et à Feydeau - qui doivent néanmoins à Eugène Scribe, l’auteur du livret, cet art du qui-pro-quo et du ton badin cachant mal la satire. L’intrigue se passe dans cette Espagne que les Romantiques, de Hugo à Mérimée, ont inventée. Il n’y a pourtant pas grand-chose de la culture ibérique dans la pièce, évoquée toutefois par la musique. La première partie se passe durant un bal de carnaval, très italien, la seconde au domicile d’un vieux garçon, très parisien. La troisième dans un cloître de nonnes trop libre pour exister.

 

Les libertés revendiquées. Cette liberté, c’est sans doute la clef de voûte du livret comme de la partition de Daniel-François-Esprit Auber. Libre d’aimer avant tout, pour la femme comme pour l’homme. Comme si c’était la première libération et la garantie absolue par cette égalité qu’elle suppose et même impose aux deux sexes. Liberté politique héritée des Lumières, lorsqu’une domestique peut s’adresser à un Grand d’Espagne comme elle parle au concierge voisin. Liberté religieuse enfin, quand Scribe dénonce les luttes de pouvoir interne à l’église et pose une grande distanciation avec les dogmes.

Voilà qui nous parle, à nous spectateurs du XXIe siècle. Mais qu’est-ce qui nous attire et nous fait répondre en rires et applaudissements nourris à cette recréation ? Assurément le ton badin pour dire des réalités sociales après un demi-siècle de beaucoup de sérieux et d’un peu de pédantisme de créateurs engagés qui ne peuvent à eux seuls couvrir le large spectre des arts vivants. Le renouveau du cirque et des arts de la rue est sans doute à placer sur le même registre d’un désir de bouffonnerie et de poésie pour dépasser la sage parole publique.

Mais c’est également que les artistes d’aujourd’hui regardent avec moins de condescendance les musiciens comme Auber et Offenbach, les auteurs comme Scribe et Halévy. La mise en scène enlevée et surprenante de Christian Hecq, sociétaire de la Comédie-Française et Molière 2008 pour son jeu dans Le fil à la patte, le rôle principal superbement tenu par Anne-Christine Gilet, qui a par ailleurs ravi tous les grands opéras du monde, de Mozart à Rossini, le montrent assez. Comme ce fut d’ailleurs le cas en 1837, en ce même Opéra Comique, lorsque la grande soprano Laure Cinti-Damoreau créa le rôle en abandonnant l’Opéra Garnier trop rigide sur le jeu des chanteurs. Après la mise en scène très créative de Phia Ménard pour Et in Arcadia Ego, l’Opéra comique réussit donc sa mue.

 

Le Domino noir, opéra-comique en trois actes de Daniel François-Esprit Auber. Livret d'Eugène Scribe. Créé en 1837 à l'Opéra Comique. Direction musicale : Patrick Davin. Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq. Chorégraphie : Glyslein Lefevere. Décors : Laurent Peruzzi. Costumes : Vanessa Sandino. Représentations : 26, 28, 30 mars, 1er, 3 et 5 Avril 2018 à l'Opéra Comique.

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