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Centenaire : la Révolution russe s’expose à Londres

par Jacques Moulins
L'exposition Revolution russian art à la Royal Academy of Arts de Londres. © Giraud / Naja
L'exposition Revolution russian art à la Royal Academy of Arts de Londres. © Giraud / Naja
Un portrait involontairement iconoclaste de Staline peint par Georgy Roublev en 1930. DR
Un portrait involontairement iconoclaste de Staline peint par Georgy Roublev en 1930. DR
"La cavalerie rouge" de Kaismir Malevitch, peinture présentée à l'exposition moscovite de 1932. DR
"Ouvrières du textile" peint en 1927 par Alexander Deineka. DR
Une recherche de mise en scène de Meyerhold. DR
Une recherche de mise en scène de Meyerhold. DR
"Revolution : Russian Art, 1917-1932" à la Royal Academy of Arts de Londres. © Rivaud/Naja
Arts visuels Arts plastiques Publié le 18/02/2017
La révolution russe a cent ans. Mais c’est surtout à Londres qu’il faut suivre l’événement pour ce qui concerne tout ce que l’avant-garde russe bouleversa. Ce centenaire s’ouvre par une intelligente exposition à la Royal Academy of Arts de Londres où est montrée la diversité des créations de l’époque et l’opposition vive et parfois féconde entre académisme soviétique et avant-garde. Puis suivent plusieurs manifestations.

La révolution russe ébranla le monde du XXe siècle d’Occident en Orient. Ce fut un choc politique, un traumatisme social et économique, une vague communiste qui gagnera le globe, mais aussi la naissance de nouvelles esthétiques qui vont couvrir tous les domaines de l’art. Si les bolcheviks ne font plus recette, bien qu’on attende toujours une biographie de Lénine à la hauteur du personnage, les créations artistiques de l’époque et l’attrait qu’elles exercèrent sur le monde entier sont toujours d’actualité. C’est peut-être pourquoi cette commémoration commence par une exposition sur l’art. La Royal Academy of Arts de Londres, qui s’illustre chaque année par des exposition audacieuse, réussit à nouveau un coup de maître. Difficile, en sortant du bâtiment victorien de Piccadilly, de mettre en doute la dimension révolutionnaire de ce qui se passa en Russie à partir de 1917. Difficile aussi de réfuter la chape de plomb qui s’abattit sur l’Union soviétique avec l’instauration progressive mais brutale du Stalinisme et son absolutisme à partir de 1932, date où s’achève l’exposition.

 

Révolutions esthétiques. Tout commence par le portrait de Lénine, réalisé en 1919 par Issak Brodsky, avec en toile de fond un drapeau rouge et une manifestation. Le tableau n’a rien de révolutionnaire, répondant aux canons de l’académisme alors en vigueur dans les salons bourgeois européens. C’est un des rares portraits du chef révolutionnaire peint de son vivant. Staline, qui ne pouvait lui-même imposer son propre culte de la personnalité, fut assez malin pour contourner le problème en faisant de Lénine un personnage incontestable dont il était l’héritier. Pour assoir son pouvoir, il glorifia donc Lénine et le fit déterrer de son humble cimetière pour le momifier, lui élever un mausolée sur la Place rouge et des centaines de statues de par le pays.

L’exposition londonienne se fait échos de cet épisode, mais elle montre surtout la puissance de la révolution artistique qui s’opéra alors. On connaît Malevitch et Kandinsky, l’audace des peintres constructivistes et suprématistes, mais on connaît peu les autres œuvres exposées à la Royal Academy. Par exemple, ce surprenant portrait de Staline réalisé en 1930 par Georgy Roublev, qui rappelle par certains traits celui fait par Picasso pour les Lettres françaises à la mort du dictateur, mais qui fut gardé secret en raison de son imaginaire contemporain. Ou encore les nombreuses toiles qui prennent pour sujet ouvrières et ouvriers sur leur lieu de travail, un sujet jusqu’alors inimaginable dans les académies, mais dans une facture bien différente de ce qu’exigera le réalisme soviétique cher à Staline. Telles ces toiles colorées d’Ekaterina Zernova ou ces surprenantes compositions d’Alexander Deineka. C’est que le commissariat du peuple à l’éducation (Narkompros) vient d’être créé et comprend tout ce que la Russie compte de tendances artistiques. C’est dire si les débats y sont musclés.

 

Films, arts vivants et décoration. Le chamboulement esthétique touche alors tous les domaines de l’art. Les commissaires de l’exposition les ont mis en scène en les confrontant à l’art plus officiel qui peu à peu prend le pas sur la liberté de création. Des scènes des films d’Eisenstein et de Dziga Vertov sont projetées sur écran, un remarquable film d’expérimentation chorégraphique proche des recherches du Bauhaus jouxtent les portraits du grand directeur de théâtre que fut Meyerhold. Des croquis et recherches de mise en scène, décors et costumes de théâtre.

Les préoccupations des artistes sont à l’évidence marquées par le souci de s’adresser à un plus grand nombre sans céder en rien, bien au contraire, aux recherches formelles. Un étonnant appartement de deux pièces, créé par El Lissitzky, est restitué grandeur nature. Datant de 1932, il n’est pas sans rappeler les travaux du trio Le Corbusier-Perriand-Jeanneret rationnalisant les intérieurs d’appartement en baissant les coûts de production mais en offrant le mieux et le plus contemporain à tout le monde.

 

Des thèmes d’agit-prop. Intelligemment, les thèmes choisis par les commissaires sont ceux de la propagande soviétique. On passe de « L’homme et la machine » et du « Destin des paysans » à la « Nouvelle vie, nouvelle société » puis à « La Russie éternelle ». Mais le débat entre créateurs est toujours présent. Jusqu’aux années 30 où la représentation des manifestations sportives commence à ressembler aux réalisations de l’allemande Leni Riefenstahl qui filma les Jeux Olympiques de Berlin en 1938. Pourtant, en 1932 encore, Kasimir Malevitch organisera une exposition suprématiste bien opposée au concept des défilés en ordre et sous bannière rouge des athlètes soviétiques.

L’exposition consacre une belle place à un peintre peu connu, Kuzma Petrov-Vodkin, dont les toiles respectueuses des thèmes de propagande n’hésitent pourtant pas à présenter un cheval rouge ou une ouvrière en madone. Elle s’achève dans une salle obscure où défilent sur écran les photos de police des victimes du stalinisme, des chefs révolutionnaires comme Zinoviev, aux inconnus ingénieurs ou scientifiques, en passant par les artistes dont Meyerhold. Nombre d’entre eux, s’ils n’ont pas réussi à s’exiler, ont été condamnés à mort, ont péri dans les camps ou ont disparu dans les caves de la Loubianka.

Staline avait gagné. Mais pas devant l’histoire, comme l’avance le dernier ouvrage écrit par le philosophe Tzvetan Todorov avant son décès survenu le 7 février dernier. Intitulé Le triomphe de l’artiste, il évoque la vie d’une quinzaine d’artistes russes de 1917 à 1940, et principalement de Malevitch. Examinant le rapport des artistes et de la révolution, il s’intéresse également à leur rapport avec le pouvoir soviétique, et note qu’au final, ce sont les artistes censurés qui ont notre admiration et Staline notre détestation.

 

D’autres expositions, à Berlin, New-York sont dédiées à la révolution russe, mais toujours au niveau culturel. Quant à l’antenne du musée petersbourgeois de l’Ermitage d'Amsterdam, c’est aux Romanov qu’elle a décidé de s’intéresser. La Suisse, où des milliers de révolutionnaires, dont Lénine, s’étaient réfugiés, organise à Zürich La Révolution de 1917. La Russie et la Suisse jusqu’au 25 juin. Mais c’est Londres qui restera en avant-garde toute l’année, avec le 8 avril une exposition à la British Library (Révolution russe : espoirs, tragédies et mythes), le 15 mars au Design Museum (Imagine Moscow), le 8 novembre à la Tate Modern (L’Etoile rouge au-dessus de la Russie) et un festival consacré au cinéma de cette époque jusqu’au 15 avril. En France, on notera une exposition aux Invalides Et 1917 devient Révolution du 18 octobre au 18 février 2018. Quant à la Russie de Poutine, elle se fera très discrète sur l’événement.

 

Revolution : Russian Art 1917-1932, Royal Academy of Arts. Piccadelly, Londres. Jusqu‘au 17 avril. Imagine Moscow, Design Museum de Londres du 15 mars au 4 juin. Révolution russe : espoirs, tragédies et mythes, Bristish Library de Londres à partir du 8 avril. La Russie et la Suisse, musée national de Zürich, jusqu’au 25 juin. Les Romanov et la Révolution, Ermitage d’Amsterdam jusqu’au 17 septembre. Et 1917 devient Révolution, au musée des Invalides du 18 octobre au 18 février 2018. L’Etoile rouge au-dessus de la Russie à la Tate Modern de Londres du 8 novembre. Le triomphe de l’artiste, de Tzvetan Todorov. Editions Flammarion, parution le 14 février.

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