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Jessica Castex, « Pour les artistes de Co-workers, l’image est une matière première »

par Véronique Giraud
L'exposition
L'exposition "Co-Workers - Le réseau comme artiste" montrent combien le statut de l'image est transformé par la nouvelle génération de créateurs nés avec Internet ©Giraud /Naja
Last Spring/Summer IV, 2015. Installation d'Aude Pariset en collaboration avec Juliette Bonneviot. ©Giraud/Naja
Last Spring/Summer IV, 2015. Installation d'Aude Pariset en collaboration avec Juliette Bonneviot. ©Giraud/Naja
Mise  en   scène   par   le   collectif  new-yorkais  DIS, l'exposition fait émerger un langage inédit inspiré des ressources d’Internet. ©Giraud:Naja
Mise en scène par le collectif new-yorkais DIS, l'exposition fait émerger un langage inédit inspiré des ressources d’Internet. ©Giraud:Naja
Les espaces de co-working sont matérialisés. ©Giraud:Naja
Les espaces de co-working sont matérialisés. ©Giraud:Naja
Le collectif d'artistes None Futbol Club présente son Work n°2B : La Tonsure (after Marcel Duchamp) 2015. Reproduite sur le crâne du footballeur Djibril Cissé, la tonsure en étoile rendu célèbre par une photographie de Man Ray peut devenir un signe publicitaire reproductible ©Giraud/Naja
Le collectif d'artistes None Futbol Club présente son Work n°2B : La Tonsure (after Marcel Duchamp) 2015. Reproduite sur le crâne du footballeur Djibril Cissé, la tonsure en étoile rendu célèbre par une photographie de Man Ray peut devenir un signe publicitaire reproductible ©Giraud/Naja
Les espaces ultra-connectés conjuguent intime et collectif ©Giraud/Naja
Les espaces ultra-connectés conjuguent intime et collectif ©Giraud/Naja
Arts visuels Publié le 09/11/2015
Co-Workers - Le réseau comme artiste, actuellement au musée d'art moderne de la Ville de Paris, rend compte de l'influence d'Internet sur le processus créatif d'artistes nés dans les années 80. Jessica Castex, co-commissaire de l'exposition, nous explique comment a été élaboré un tel projet.

Comment est né le projet Co-Workers ?

C’est en découvrant les travaux de DIS, exposés en 2012 par la New Galerie à Paris, qu’Angeline Scherf a eu l’idée d’un projet. Elle s’est rapprochée du collectif new-yorkais et de Toke Lykkeberg, qui était le curateur de cette exposition française. Le projet a donc été initié par Angeline Scherf, commissaire général, Toke Lykkeberg en a été le co-commissaire. Quelques mois plus tard, on m'a demandé de rejoindre le projet afin de porter un regard sur la scène française, ses pratiques collaboratives, son intégration aux réseaux. Les artistes de l’exposition sont nés dans les années 80. Agés d’à peine trente ans, leur pratique est récente. Ici, on ne parle plus d’art numérique parce que ces jeunes artistes reviennent à la matérialité et il y a peu d’œuvres purement numériques dans l’exposition.

 

Pourquoi faire appel au collectif DIS ?

DIS est un jeune collectif, créé en 2010, mais déjà très influent sur la scène de l'art contemporain. Ils assureront le commissariat de la prochaine Biennale de Berlin en 2016. Ce qui nous a intéressé dans leur pratique, c’est qu’ils sont un peu à chaque étape de la production et de la diffusion de l’œuvre avec leur plateforme DISmagazine. Ils sont créateurs, mais ils invitent aussi des artistes à traverser leur plateforme, à présenter des œuvres, et ils proposent aux followers de publier leurs selfies. Ils publient également des textes théoriques sur l’art. Leur proposition est donc très large. Avec cette pratique, ils sont à la fois artistes, éditeurs, diffuseurs, en outre ils vendent sur leur plateforme des objets de consommation courante, des Tshirts, réalisés par des artistes. Finalement, ils pourraient s’affranchir des institutions ou du marché, DIS a inventé un process qui intègre toutes ces formes. Le collectif incarne parfaitement la notion de réseau, de partage. Angeline Scherf a confié à ses membres la scénographie de l’exposition Co-Workers. Ils ont très vite pensé à ces zones entre deux, entre espaces collectifs et espaces personnels. Espaces de co-working bien sûr, mais aussi espaces de relaxation, de zones loundge comme les salles des aéroports où on peut à la fois s’installer, travailler, écouter de la musique, trouver une intimité tout en étant dans des lieux très fréquentés.

 

Comment les artistes ont-ils été choisis ?

Pour découvrir et réunir des artistes autour de ce projet, nous avons prospecté à travers de nombreux réseaux, plateformes, magazines en ligne. Nous avons aussi interrogé des artistes de notre propre réseau. Après de nombreux entretiens, les choses se sont précisées.

 

Qu’est-ce qui distingue ces artistes d’autres artistes de leur génération ?

Nous avons choisi ces artistes en observant comment ils développent leurs projets, comment ils intègrent des formes collaboratives dans leurs projets, comment ils puisent sur les réseaux et sur le web leur iconographie, leur source de réflexion. Comment enfin ils questionnent les champs des sciences sociales. C’est vrai qu’aujourd’hui tous les artistes utilisent le web, l’échange, la circulation d’informations comme matériaux. C’est devenu un bien commun, traditionnel, comme peuvent l’être la photo, la vidéo. Mais ce qu’on constate c’est que, pour cette génération, l’image a changé de statut en quelque sorte. Elle est devenue beaucoup plus matérielle qu’une simple représentation, c’est devenu une matière première.

 

Pouvez-vous nous donner des exemples du travail d’artistes que le public peut découvrir avec Co-Workers ?

Aude Pariset, par exemple. Photographe de formation, elle ne travaille plus avec ses propres images. Elle va chercher d’autres images qu’elle réutilise, véhiculant la pratique du repost, du retweet. La circulation de l’image change à la fois le statut de l’image et le statut de l’auteur. Envisager les choses sous cet angle c’est questionner des paramètres très contemporains. Chez Aude Pariset, cette question est centrale dans son travail. Le fait qu’elle soit dans un processus de rematérialisation, notamment à partir d’éléments organiques, quand elle plonge des impressions digitales qu’elle a collectées, avec lesquels elle a fait des collages, sur lesquels une artiste peintre est intervenue, qu’elle a sollicitée. Quand elle les plonge dans l’eau des aquariums, l’eau peu à peu fait son œuvre, qui inscrit le travail dans un cycle temporel puisqu’au bout de trois semaines on suspend les impressions dans un dispositif de séchage. Dans le processus temporel et de dégradation de l’image, c’est aussi sa manière de souligner l’obsolescence de l’image, notamment celle de l’image digitale puisque les impressions s’altèrent et font apparaître d’autres images, en conservant beaucoup l’intervention de l’artiste peintre, de la main.

Autre exemple, le collectif nonefutbolclub, qui reprend le signe de la tonsure en forme d’étoile, en référence à la photographie de Man Ray Duchamp à la tonsure, et le porte dans un univers très éloigné qu’est le football. En faisant circuler sur les réseaux ce signe, devenu une image, presque un logo quand il est imprimé sur un Tshirt ou sous la forme d’une image documentaire, les artistes font jouer la circulation de cette image jusqu’à saturation. En reprenant aussi les procédés marchands qui ont cours dans le football actuel, où le joueur devient porteur d’un signe emblématique de l’art moderne. Chaque artiste a donc sa propre démarche. Ce qui nous semblait intéressant dans notre prospection c’est au final de présenter des pratiques très différentes.

 

L’exposition est concomitante à la réouverture du Musée de l’homme qui offre une vision renouvelée de l’humanité, cela vous inspire-t-il une réflexion ?

Regarder le monde à travers le prisme des artistes est toujours intéressant parce qu’ils nous emmènent ailleurs. Parfois c’est un regard un peu dur, ou mélancolique. Dans cette exposition, les artistes ont un regard un peu dur sur le monde, même s’ils le montrent en creux. En tout cas, ce sont des sortes de mises en garde de l’ultra-connectivité qui nous renvoient beaucoup à la solitude, à l’anxiété. Ce qui m’intéresse, c’est quand on met l’accent sur ces questions, ce sont comme des petites alertes qui nous sont données. Cela reste donc passionnant de pouvoir observer le monde en train de se transformer aujourd’hui, en train de muter, et d’avoir le privilège de le faire aux côtés des artistes.

 

Il y a en effet un côté anxiogène induit dans l’œuvre, est-il sous-jacent à l’inspiration de l’artiste ?

L’inspiration reste intacte, elle puise dans tout cela. Elle est au contraire dynamisée. Le fait de pouvoir utiliser en open-source tout ce qui vient du web, c’est exaltant, cela ouvre beaucoup de possibilités. Parmi les réflexions qui m’ont marqué, je retiendrai celle de David Douard quand il parle du dark web, un territoire aujourd’hui qui n’est pas contrôlé, qui véhicule le pire et le meilleur. C’est justement ce qui l’intéresse parce que c’est un territoire de liberté totale.

 

Co-Workers - Le réseau comme artiste - Commissaires de l'exposition : Angeline Scherf, Toke Lykkeberg, Jessica Castex - Mise en scène : DIS -  Au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, jusqu'au 31 janvier 2016 - 11 avenue du Président Wilson 75116 Paris. www.mam.paris.fr

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