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Mot de passe oublié ?L’annonce a été ressentie comme un coup de foudre dans le ciel Rhône-alpin. En avril 2022, après deux années de pandémie qui ont mis à mal les scènes de spectacles françaises, Laurent Wauquiez, président Les Républicains de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), fait voter par sa majorité une baisse de 140 subventions accordées au domaine culturel sur les 313 existantes, soit plus de 17% d’économie sur cette ligne budgétaire. Les grandes institutions, opéras, biennale d’art contemporain, maison de la danse, Institut Lumière, Subsistances, les lieux de formation comme les écoles des Beaux-arts, les compagnies comme celle de Maguy Marin, sont les plus touchées. Les festivals sont logés à la même enseigne. La Villa Gillet, rare lieu en France consacré à la littérature contemporaine, a la surprise d’apprendre que sa subvention est totalement supprimée, 350 000 euros qui représentent un tiers de son budget. Pour l’opéra de Lyon, Wauquiez, malin, réduit la subvention de 500 000 euros, comme l’a fait le maire écologiste Grégory Doucet.
Un système de subventions politisé. Le système de subvention publique pour les établissements présentant des spectacles d’art vivant s’accorde mal avec la visibilité de gestion et donc de programmation. Les productions doivent être montées parfois des années à l’avance et il est impossible d’attendre la confirmation toujours tardive des subventions annuelles pour lancer les programmations.
L’attitude du conseil régional est donc des plus problématiques. Aucune concertation, aucune annonce préalable. Dans la presse locale, Laurent Wauquiez s’explique en demandant « des efforts aux grandes institutions pour faire de la solidarité ». Comprendre : les grandes villes sont surdotées, il faut rééquilibrer au profit des territoires ruraux.
L’argument ne tient pas : le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, qui devait faire tourner son école nomade de Clermont-Ferrand à Valence, n’aura pas la subvention pour le faire. Le centre culturel polyvalent du Mazet-Saint-Voy, une des rares communes de Haute-Loire tenues par la gauche, voit sa subvention de 200 000 euros supprimée. Le Stadium de Lyon reçoit en revanche une subvention, la seule publique, pour son festival rock Inversion, qui appartient à une filiale de Vivendi de Vincent Bolloré.
12,21 de subvention moyenne par personne. La région AURA, la plus riche du pays après l’Ile-de-France, est pourtant la plus pingre avec 8,39 euros par personne consacrés à la culture. Valérie Pécresse ne fait guère mieux avec 8,07 euros, mais il est vrai qu’à Paris et ses alentours, l’État est très présent.
La région Pays de la Loire, déjà mal dotée avec seulement 10,74 euros par habitant et habitante, a encore décidé d’amputer cette année le budget culture de 2 millions d’euros. Les aides aux compagnies présentes au Festival Off d’Avignon, la création de nouveaux spectacles, les résidences artistiques en feront les frais.
À l’inverse la région Occitanie qui, avec la Nouvelle Aquitaine et la Normandie, est la plus généreuse (respectivement 12,96 euros, 13,80 euros et 13,43 euros) maintient ses subventions au secteur culturel et discute des financements au cas par cas, en collaboration avec les professionnels. En 2022, la moyenne des subventions régionales attribuées au secteur culturel s’est élevée à 12,21 euros en métropole. Les régions d’outre-mer dépensant près de deux fois plus.
Des dépenses de plus en plus élevées. Tout cela sur fond de charges accrues des institutions culturelles qui doivent faire face à l’augmentation des tarifs de l’énergie, à l’obligation de rénovation durable des bâtiments et à l’inflation. Pour l’opéra de Lyon, la seule augmentation de la facture énergétique s’élève à 700 000 euros. Au Théâtre de la Cité à Toulouse, elle est de 320 000 euros.
Les réactions des organisations professionnelles sont unanimes. « La refonte des politiques régionales, et des collectivités en général, dont certaines se traduisent par des baisses des budgets de la culture, d’autres par la disparition d’aides aux équipes artistiques, s’effectue sans concertation » dénonce le Synavi, syndicat des arts vivants. « Au moment où les tensions inflationniste et énergétique ne tarissent guère, où le soutien des collectivités territoriales s’effrite, nous sonnons l’alarme » dit de son côté le Syndeac, syndicat des entreprises culturelles qui fait « le constat amer du désengagement flagrant de l’État et de certaines collectivités territoriales ». Même son de cloche du côté des syndicats de salariés.
Un financement par fonds croisés. Les décisions du conseil régional AURA ont une conséquence autre que financière. Elles mettent à mal le système français de financements croisés assurés par l’État, les communes, les départements et les régions qui garantit l’indépendance culturelle et la non intervention du politique dans les choix esthétiques. Lorsque le maire Front national d’Orange avait tenté d’influer sur la programmation des Chorégies, festival d’art lyrique réputé internationalement, le tollé l’avait fait reculer. Chez les élus, la tendance est toujours grande à favoriser un tel plutôt qu’un tel. D’où l’intérêt des commissions culturelles transparentes.
Aux subventions de l’État et des collectivités, s’ajoutent les recettes propres assurées par la billetterie et, de plus en plus, le mécénat. La Scène nationale de Sète reçoit ainsi 250 000 euros de ses mécènes. Plus que le montant de la subvention régionale.
Le financement des collectivités. Il est difficile de comparer les financements publics qui vont à la culture en France, tant les champs d’action diffèrent, de la mise à la disposition de la culture pour tous à l’entretien et la mise en valeur du patrimoine, du soutien à la création à la diffusion des œuvres et des productions. En 2020, les dépenses culturelles des collectivités territoriales s’élevaient à 8,7 milliard d’euros, dont 80% sont assurés par les communes et intercommunalités. Les départements participent pour 12% et les régions pour 9%.
À titre de comparaison, le budget du ministère de la Culture s’élève à 4,1 milliards d’euros et les dépenses culturelles des autres ministères, dont l’Éducation nationale et les Affaires étrangères, à 5,2 milliards d’euros.