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« Daddy », le théâtre très connecté de Marion Siefert

par Véronique Giraud
Jennifer Gold dans
Jennifer Gold dans "Daddy," pièce écrite par Marion Siéfert et Matthieu Bareyre., qui se joue à l'Odéon jusqu'au 29 mai. © Matthieu Bareyre
Arts vivants Théâtre Publié le 23/05/2023
Avec "Daddy", Marion Siefert plonge le public dans les coulisses de la virtualité. Introduite par le gigantisme d'un écran de jeu vidéo, sa mise en scène donne visibilité aux liaisons dangereuses 2.0. Magistral !

Plongeant le spectateur dans l’univers du jeu vidéo, la scène de l’Odéon devient une formidable caisse de résonance d’une virtualité triomphante en ce XXIe siècle. Pas de comédiens, mais un immense écran géant où se déroule une course poursuite, un combat armé. En off, une voix féminine dont on pressent la jeunesse et la voix d’un homme un peu plus âgé. Deux gamers, elle dont l’avatar porte jupe, lui tout de noir vêtu, imposant sa puissance et l'attirant à lui sous prétexte de protection. Lorsque l’écran vidéo disparaît, une scène familiale ramène soudain à la trivialité du quotidien, celui de Maria, une adolescente de 13 ans, qui n’a qu’un rêve : devenir comédienne. On comprend que l’excitation du jeu vidéo compense l’ennui d’une famille ordinaire. Mais quand le prédateur veut sortir de l’anonymat du jeu vidéo pour faire entrer sa proie dans la réalité, même fantasmée, le jeu devient dangereux. Dramatique même.

C’est ce que démontre et démonte le texte qu’ont co-écrit Marion Siéfert et Matthieu Bareyre. Il s’est construit sur la base de témoignages recueillis auprès de contemporains, des femmes surtout. Devenir comédienne est pour Maria un rêve qui lui donne l’espoir d’une vie plus belle. Elle aurait pu en rester là, nourrissant son rêve comme le font les adolescents. Mais sa rencontre avec Julien, qui la convainc qu’elle pourra le vivre si elle le rejoint sans rien dire à ses parents, en décide autrement. Sa chance est là, la désillusion suivra. Ce phénomène, très courant, est ici magistralement recréé.

Le phénomène de saturation, avec des scènes trop longues, la versatilité du vrai et du faux, de l’illusion et du réel, avec en apothéose une ouverture de plateau dont on ne trahira rien, le jeu, au cœur d’un jeune talent et dans les mains d’un prédateur, tout fait théâtre. Évoquant les nouveaux jeux de société, des jeux qui viennent de loin, de l'invisible, et troublent les liens avec une puissance qui est seulement en cours d'évaluation. Mais cet invisible, auquel Marion Siefert donne corps avec talent, ronge une jeunesse.

De nombreuses références cinématographiques s’immiscent, les dialogues semblent avoir été entendus mille fois, ils ne sont qu’un matériau dense avec lequel l'autrice et metteuse en scène malaxe l’idée de jeu quand il est infernal. Jeu d’une jeune vie, jeu permettant de s’évader sur grand écran ou incarné par le corps expert d’une danseuse, jeu de la parole adulte. Dans ce monde de séduction, où tout est tromperie, les relations sont rythmées par les flatteries ou les commentaires mortifères. De ceux que l'on retrouve à foison sur les réseaux sociaux.

Le théâtre est illusion, et la metteure en scène Marion Siéfert ne se prive pas de ses artifices et du talent de ses comédiens. Le théâtre permet alors la mise en abîme des sensations produites sur les gamers, captivés, immergés dans un univers inconnu et prometteur de conquêtes, d’une illusoire transformation physique grâce aux techniques numériques avec, en sous-face, la possible manipulation d’un prédateur qui, d’abord virtuel, berne sa proie dans un tourbillon de victoires faciles avant de dévoiler une domination criminelle.

 

Daddy, texte de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre, Misée en scène de Marion Siéfert. Avec Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Louis Peres, Charles-Henri Wolff. Odéon - Théâtre de l'Europe, du 9 au 26 mai.

 

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