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De Walt Disney à Disneyworld, quelle réalité ? Quel héritage ?

par Véronique Giraud
Une maquette du château de La Belle au bois dormant (Disneyland, Anaheim, Californie, 1955), et son inspiration : le château Neuschwanstein construit au XIXe siècle par Louis II de Bavière. ©Rivaud/NAJA
Une maquette du château de La Belle au bois dormant (Disneyland, Anaheim, Californie, 1955), et son inspiration : le château Neuschwanstein construit au XIXe siècle par Louis II de Bavière. ©Rivaud/NAJA
Une carte postale représentant la main street de Marceline, petite ville du Mississipi où grandit Walt Disney. ©Rivaud/NAJA
Une carte postale représentant la main street de Marceline, petite ville du Mississipi où grandit Walt Disney. ©Rivaud/NAJA
Christoph Sillem, Rue des Genêts, Bailly-Romainvilliers (Seine et Marne), série « A World around Disney », 2009, photographie @ Christoph Sillem
Christoph Sillem, Rue des Genêts, Bailly-Romainvilliers (Seine et Marne), série « A World around Disney », 2009, photographie @ Christoph Sillem
Le public devant trois courts métrages des débuts de Walt Disney. Rivaud/NAJA
Le public devant trois courts métrages des débuts de Walt Disney. Rivaud/NAJA
Mickey's Mellerdrammer (1933), un cartoon dans lequel Mickey et ses amis donnent une représentation de La Case de l'oncle Tom. Mickey y joue l'oncle Tom et Topsy, le visage noirci. cette technique Cette pratique consistant à utiliser des personnages blancs que l'on maquille afin de jouer des personnages noirs démontre le racisme ordinaire de la majorité de la population américaine dans les années 1930. © Rivaud/NAJA
Mickey's Mellerdrammer (1933), un cartoon dans lequel Mickey et ses amis donnent une représentation de La Case de l'oncle Tom. Mickey y joue l'oncle Tom et Topsy, le visage noirci. cette technique Cette pratique consistant à utiliser des personnages blancs que l'on maquille afin de jouer des personnages noirs démontre le racisme ordinaire de la majorité de la population américaine dans les années 1930. © Rivaud/NAJA
Sous les voûtes en berceau de la galerie d’architecture, une vue de l'exposition dont la scénographie a été conçue par Cyrille Brisou Denys Zhdanov. © Rivaud/NAJA
Sous les voûtes en berceau de la galerie d’architecture, une vue de l'exposition dont la scénographie a été conçue par Cyrille Brisou Denys Zhdanov. © Rivaud/NAJA
Filmée en 2009, l'artiste Pilvi Takala, déguisée et maquillée en Blanche-Neige, se voit refuser l'entrée d'un parc Disney, provoquant maints arguments de la part de gardiens et autres personnels du parc qui en disent long sur le contrôle strict mis en place dans ce royaume de l'insouciance. ©Rivaud/NAJA
Filmée en 2009, l'artiste Pilvi Takala, déguisée et maquillée en Blanche-Neige, se voit refuser l'entrée d'un parc Disney, provoquant maints arguments de la part de gardiens et autres personnels du parc qui en disent long sur le contrôle strict mis en place dans ce royaume de l'insouciance. ©Rivaud/NAJA
Hors-Champs Société Publié le 09/09/2024
La firme Disney, depuis les années 20, n’a cessé d’émerveiller les enfants d’Europe avec ses personnages animés et ses parcs d’attractions donnant une réalité à ce « monde merveilleux ». Cette singulière "réalité" fait l'objet à Bordeaux d'une exposition critique au centre d'architecture à , rendant visible les desseins et l’ambition redoutable sur fond d’idéologie suprématiste de Walter Elias Disney (1901-1966).

Qu’avons-nous hérité de Walt Disney ? Ses premiers dessins animés et court-métrages ont révélé un créateur qui, très vite, a osé capitaliser sur le succès de cette création graphique et son propre charisme pour développer une entreprise qui aujourd’hui est dans le CAC quarante. Une entreprise qui partira à la conquête des terres d’Amérique puis du monde entier pour y implanter une myriade de parcs d’attractions, véritables cités du divertissement régies en toute liberté par les valeurs Disney.

En 1920, la souris Mickey est devenue l’amie, le juge de paix, la magicienne, faisant joyeusement régner l’ordre. En 1937, l’adaptation Blanche-neige et les sept nains est un premier emprunt aux vieux contes d’Europe servant sa vision stéréotypée de la femme plus à l’aise avec un balai et un savon qu’au travail dans la mine., alors qu’à la même époque les suffragettes défilaient dans les rues de New-York. Ce premier long-métrage, au succès planétaire, impose une image simplifiée, souriante de l’existence et, avec le charme infaillible du divertissement, pose les bases d’une idéologie à la fois moderne par ses innovations techniques et rétrograde par ses allusions nostalgiques d’un temps révolu. Surtout, Disney s’autorise une grande liberté de simplification, voire de falsification d’histoires écrites au début du XIXe siècle plus sombres et terrifiantes qu’heureuses. Le sourire, le chant, les couleurs, la nature, l’amour, l’amitié, sont les ingrédients de tous les films d’animation qui attireront les foules pendant des décennies.

De son passage en France en tant qu’ambulancier pour la Croix Rouge pendant la seconde guerre mondiale, Walter Elias Disney captera les histoires qui ont construit l’imaginaire des habitants du Vieux Continent, les architectures impériales, aristocratiques, art nouveau, pour les déformer avant de les intégrer dans les propres productions de sa firme qui entend bien participer à la construction de l'idéal américain.

 

La vie comme un conte de fées. En s’appuyant sur l’attrait des dessins animés Disney, le chef d’entreprise imagine donner une réalité à ce « monde merveilleux ». Le premier parc d’attractions portant sa marque verra le jour en Californie dans les années 50. Il est né d’une habile transaction avec la société de médias ABC que Walt Disney persuade d’acheter le terrain de 244 hectares qu’il convoite pour le construire. En échange de l’investissement, Disney apparaît dans un programme télévisé hebdomadaire de ABC pour raconter des histoires de réalités alternatives et de progrès technologiques tout en informant de l’avancée des travaux du parc. Ce premier Disneyland sera suivi de nombreux autres, en Europe et ailleurs dans le monde. Celui de Paris, construit à Marne-la-Vallée en 1992, est aujourd’hui encore le site le plus visité de France. Sa fréquentation de 15 millions de visiteurs en 2022 (dont la moitié sont étrangers) devance largement celles du musée du Louvre (8 millions la même année) et du château de Versailles (7 millions).

Sous ses allures de grande ville dominée par la fantaisie, l’insouciance, ses personnages joyeux et amicaux sortis du grand écran, ses belles architectures aux détails soignés, la tentation de ses produits dérivés suscitant l’envie de posséder, le parc d’attractions Disney s’adresse à l’enfant qui est en nous. Mais dans cet univers stéréotypé, tout est codifié, contrôlé, rien n’échappe à la surveillance. En témoigne une vidéo Real Snow White, réalisée par l'artiste performeuse Pilvi Takala qui, déguisée en réplique parfaite de Blanche-Neige, se voit refuser l’entrée du parc parce que « les enfants pourraient croire qu’elle est Blanche-Neige, alors que le vrai personnage se trouve dans le parc » expliquent les gardiens. Tous ces parcs participent également de la vision d’une ville fantasmée par Disney qui, reprenant des détails néoclassiques, copiant des ornements, en les simplifiant jusqu’à faire oublier qu’il s’agit d’emprunts à la vieille Europe, fabrique une nostalgie, un prêt-à-rêver destiné à nourrir l’élan d’un pays en quête d’identité.

 

L'effet main street. Un élément cependant distingue visuellement la ville Disney d’une ville du Vieux Continent, c’est la main street. Cette immense avenue centrale qui symbolisera pour toujours les premières villes des colons américains après qu’ils aient décimé les indigènes, celles que reproduisent les western du cinéma hollywoodien. C’est d’ailleurs avec une petite photo en noir et blanc de Marceline, la ville où grandit Walt Disney, que débute l’exposition. On y voit la longue et large ligne de séparation entre les bâtiments qui caractérise la ville historique américaine. C’est cette main street dont Disney ne se départira pas pour dessiner, quarante ans plus tard, la banlieue dont il rêve pour entourer les parcs d’attraction. Des maisons aux façades bien propres, une rue large et bien dessinée, pour mener une vie ordonnée et pacifiée. Une ville utopique en contradiction avec les soubresauts et la violence que connaissent à l’époque les grandes cités américaines.

 

Les revers de l’ascension Disney. La commissaire Saskia van Stein a pensé cette exposition, présentée au Centre d’architecture Arc en Rêve au sein du Centre d'art contemporain (CAPC) de Bordeaux, en collaborant avec des penseurs, des designers et des architectes, qui ont pour certains œuvré pour la firme, afin de rendre visibles et illustrés les revers de l’ascension Disney. En regard des documents d’animation, des films, des photos, des dessins, des artistes contemporains soulignent de leurs œuvres l’impact de cette esthétique et du concept qui les domine. La scénographie de l’exposition, que n’aurait pas renié celui qui revendiquait un « monde merveilleux », reprend la peinture « go away green » inventée pour dissimuler ce qui ne devait pas attirer l’attention du visiteur, et use d’arrondi, plein et vide, pour dessiner les stèles et les parois du parcours. Une fois passé le carrousel des plus fameux personnages des dessins d’animation, les réalisations Disney sont montrées au côté des photos et maquettes d’architectures, de dessins et livres, qui les ont influencées. D’autres influences, technologiques celles-là, figurent aussi. Rappelant que Disney, attaché à la figure d’un homme de son temps et ses innovations, a collaboré avec la NASA, avec le MIT (Massachusetts Institute of Technology). Figure aussi la maquette d’une attraction créée pour exposer les différentes manières d’utiliser le plastique chez soi, c’est la Maison du Futur Monsanto. Présentée de 1957 à 1967, on y trouvait un micro-ondes, un lave-vaisselle, une sonnette dotée d’une caméra, autant d’objets devenus placements de produits à Disneyland, contribuant à éveiller le désir du consommateur.

 

Comme une alerte. Par-delà le rappel d’une esthétique qui reste captivante si on en juge l’attraction qu’elle exerce chez les jeunes visiteurs qui, assis dans un fauteuil ou adossés à un mur, restent happés par les petits écrans du parcours, l’exposition met en évidence le redoutable business man et manipulateur que fut Disney. Organisée en une période où les idéologies totalitaires, simplificatrices, falsificatrices, reprennent le devant de la scène en France et en Europe, l’exposition retentit comme une alarme. Mettant en scène un imaginaire distillé par la puissance d’un empire médiatique, scénaristique, graphique, dominant plusieurs générations. Pour Saskia van Stern, « tout cela est assez problématique. L’unilatéralité des récits et des formes de représentations et d’exclusion dissimule et supprime ainsi la pluralité et la complexité du monde qui nous entoure. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui, à une époque où la rhétorique de la propagande politique populiste s’appuie sur l’hypersimplification qui, comme chez Disney, déploie l’identification, le symbolisme, la sentimentalité ou une supposée innocence pour faire adhérer les auditeurs à un certain nombre d’idéaux ».

 

L’architecture des réalités mises en scène (re)construire Disney, exposition organisée par arc en Rêve, centre d'architecture Bordeaux. Jusqu'au 5 janvier 2025.

 

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