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Der Wij : Serebrennikov convoque l’origine du mal

par Véronique Giraud
Der Wij, de Kirill Serebrennikov. © Fabian Hammerl
Der Wij, de Kirill Serebrennikov. © Fabian Hammerl
Arts vivants Théâtre Publié le 19/06/2023
Kirill Serebrennikov fait théâtre des drames d’aujourd’hui. L'invasion de l'Ukraine par la Russie lui a inspiré "Der Wij". Le spectacle, qui puise sa source dans un conte fantastique, produit avec une force peu commune la noirceur de la guerre.

À quelques kilomètres de la France, la guerre sévit en Ukraine. Sur le plateau du théâtre Jean-Claude Carrière, dans l’antre carbonisée d’une cave, qu’on imagine être celle d’un immeuble bombardé, des plaintes se font entendre. Lorsque les lumières de lampes de poche éclairent le lieu, on distingue trois jeunes hommes qui lancent des coups de pied sur un corps replié sur lui-même. La vue de ce corps, celui d’un soldat russe, active sur les trois frères les ressorts de la haine, le désir de tuer, mais la question se pose : Comment achever cet être exécré ? Le violer ? Le pendre ? Le tuer d’une balle ? Le battre à mort ? Leur énergie juvénile se mèle au désespoir d’une situation qui les contraint.

 

Un sortilège. Mais lorsqu’entre le grand-père, entre avec lui l'esprit d’un conte fantastique, que Nikolai Gogol a relaté en 1835 dans une de ses nouvelles ukrainiennes. Vient en jeu le cercueil d’une belle jeune fille, sa petite-fille, et, accroché au cercueil, son fils, père inconsolable. C’est alors porté par ce récit de la tradition que se joue désormais le châtiment du soldat russe. Comme dans le conte, le grand-père le somme de rester trois nuits, seul avec la morte. Le sortilège fait revivre celle-ci et sa beauté avant de convoquer le Vij, créature effrayante née de l’imaginaire populaire, mettant au supplice le soldat qui ne désire plus que la mort.

 

Le spectacle donne toute sa vigueur à l’horreur de la guerre, celle qui se joue non pas entre les nations mais entre les hommes. Des hommes que rien ne prédestinait à haïr l’autre, mais qui se retrouvent malgré eux condamnés à agir, voire tuer. Le metteur en scène dissident russe Serebrennikov, qui vit aujourd’hui en Allemagne, s’est saisi de la courte nouvelle de Gogol pour l’adapter, avec le jeune dramaturge Bohdan Pankrukhin, à une perception contemporaine. La noirceur du propos, le traitement glaçant de sa mise en scène, la violence qui se joue, au théâtre et en Ukraine, captivent l’esprit et le cœur. L’allégorie hypnotique du conte, à laquelle de magnifiques scènes donnent corps, se confronte à une réalité bestiale, insoutenable de cruauté.

Faisant intercéder l’esprit du mal, le Vij, nom avec lequel les Ukrainiens désignent une créature monstrueuse qui dissimule, sous d’épaisses et lourdes paupières, un regard mortel qui anéantit celui qui le croise, Serebrennikov choisit de décrire l’aveuglement. Et contraint de son art le spectateur à ne pas détourner le regard.

 

Der Wij, de Bohdan Pankrukhin et Kirill Serebrennikov. Traduit par Kyra Heye. Inspiré d’une histoire de Nikolai Gogol. Avec : Filipp Avdeev, Bernd Grawert, Johannes Hegemann, Pascal Houdus, Viktoria Miroshnichenko, Falk Rockstroh, Rosa Thormeyer et Oleksandr Yatsenko

Réalisateur, scène et costume : Kirill Serebrennikov
Assistante à la mise en scène : Elena Bulochnikova
Costumes : Shalva Nikvashvili
Musique : Daniel Freitag
Chorégraphie : Ivan Estegneev et Evgeny Kulagin
Lumière : Sergej Kuchar

Printemps des Comédiens 2023
Domaine d’O – Théâtre Jean-Claude Carrière
16 et 17 juin à 19h30

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