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Droits d’auteur : le street-art à la barre

par Laura Coll
Un graff de M. Chat sur une place de Sète. ©Giraud/NAJA
Un graff de M. Chat sur une place de Sète. ©Giraud/NAJA
Hors-Champs Société Publié le 11/04/2018
Si le street-art a gagné les musées, il n’en reste pas moins un art de rue dont les auteurs revendiquent un statut d’artiste. Face aux galeristes, mais aussi devant les tribunaux. Ceux-ci sont désormais saisis de plaintes d’artistes réclamant des droits d’auteur aux multinationales employant, sans accord, leurs œuvres dans leurs publicités.

Il y a quelques semaines, le street-artiste américain Revok déposait une plainte auprès de la marque d’habillement H&M, après que celle-ci eut diffusé une publicité incluant une de ses œuvres murales sans son approbation. Pour la multinationale, la plainte de Jason Williams, plus connu sous le nom de « Revok » n’a pas lieu d’être. La marque pointe du doigt le fait que l’œuvre utilisée en arrière-plan de cette publicité a été réalisée illégalement par « Revok » dans un parc de Brooklyn.

L’argument avancé par les avocats de H&M supposerait que l’œuvre considérée comme un acte de vandalisme n’est de ce fait pas soumise aux règles du copyright. Tout le street-art, né clandestinement aux coins des rues, souffre de cette ambiguïté dans laquelle il n’est pas facile de dire le droit. Une brèche qui ne peut cependant faire oublier que l’œuvre a un auteur et que celui-ci en garde la propriété. Esthétiquement comme éthiquement, la prétention d’une marque à s’octroyer un droit d’appropriation sur le travail des artistes de rue, du moment qu’il n’est pas réalisé dans un cadre légal, est pour le moins navrante.

 

Le précédent de 5Pointz . Cette question de légitimité fait résonance à la retentissante affaire de 5Pointz à New-York : une usine abandonnée devenue un véritable temple du graffiti avait été anéantie. Le propriétaire des lieux avait décidé de détruire son usine désaffectée dans le but d’y construire un hôtel de luxe. 21 artistes s’étaient alors mobilisés pour demander réparation. Ils ont finalement obtenu 6,7 millions de dollars au vu du préjudice dans la destruction d’un patrimoine historique et culturel.

En France, en guise de soutien envers « Revok » et au nom de tout ce qu’une telle polémique implique pour les artistes de rue, bon nombre de graffeurs se sont mobilisés de manière symbolique. À Paris, dans la nuit du 18 au 19 mars, cinq tee-shirts en nappe de papier dessinés et confectionnés par plusieurs street-artistes ont été placés et collés sur trois vitrines de magasins H&M. Ardif, Jaeraymie, Loiseaucraie, Matthieu, Nininart entre autres, ont dès lors justifié, sur les réseaux sociaux, leur action « symbolique, artistique et biodégradable » qui « entend dénoncer la volonté concomitante du géant américain du textile de mener devant les tribunaux une action judiciaire visant à priver les graffeurs et tous les artistes de rue de leurs droits d'auteur moraux et patrimoniaux sur leurs œuvre. ».

 

De la rue au musée. Les artistes souhaitent également interpeller le grand public sur la notion et la place de l'artiste dans notre société du tout consommable, tout jetable. Le street-artiste « sombre, lui aussi, chaque jour un peu plus dans la précarité sous les coups de butoirs du tout gratuit de l'internet ». Ils accusent en outre les grands groupes tels que H&M, aux ressources financières quasi illimitées, de se tourner « vers la création urbaine pour palier leur manque d’inspiration ».

Si la vocation première du street-art est d’être éphémère, il prend cependant de plus en plus de place dans les galeries et les musées. Cette marque de reconnaissance s’accompagne d’un changement de support, la toile au lieu des murs de rue. Cependant, pour ceux qui occupent toujours l’espace public, les tribunaux restent une menace permanente. L’artiste Monsieur chat, connu pour ses félins jaunes souriants, en a fait les frais en 2015, poursuivi par le tribunal correctionnel de Paris pour des dessins réalisés Gare du Nord. Selon l'article 322-1 du Code pénal, « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende (…). Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3750 euros d'amende (…) » Monsieur Chat, qui s’en est tiré avec 500 euros d'amende, n’a pas pour autant renoncé à envahir l’espace public de ses chats souriants.

 

Définir le statut du clandestin. Dans leur communiqué de soutien à Revok, les artistes tentent leur propre définition du street-art comme « art qui mélange créativité, liberté et interdit » offrant gratuitement aux gens « un art éphémère capable de les faire rêver, de les faire sourire, de les émouvoir ». Mais n’exemptant pas pour autant « des entreprises commerciales de s’affranchir d’une rémunération dès lors qu’elles souhaitent en tirer profit ». Une réflexion qui fait irrémédiablement écho au litige opposant le graffeur Adrian Falkner alias SMASH 137 à la multinationale Général Motors. Le 22 janvier dernier, l’artiste a en effet déposé une plainte contre le constructeur automobile américain pour avoir utilisé une de ses œuvres à des fins publicitaires sans son approbation préalable. Il réclame une compensation financière.

Un besoin de reconnaissance culturelle et de légitimité illustrée par les derniers mots du communiqué des artistes français qui laisse un doux message d’espoir : « Il est peut-être utopique de croire que les artistes peuvent changer le monde mais on ne les empêchera jamais d’essayer ».

 

 

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