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Émilie Rousset en quêtes de justice avec « Affaires familiales »

par Véronique Giraud
Affaires Familiales, Émilie Rousset, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Affaires Familiales, Émilie Rousset, 2025 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Arts vivants Théâtre Publié le 18/07/2025
Après avoir « reconstitué » le procès de Bobigny qui s’est tenu en 1972, Émilie Rousset fait cette fois théâtre avec neuf des rencontres qu’elle a provoquées entre 2021 et 2023 auprès d’avocates et magistrates européennes spécialistes des affaires familiales. Dans le cloître de la Chartreuse de Villeneuve lès Avignon, le public devient témoin d’une justice de l’intime.

En interrogeant d’abord le fameux procès de Bobigny, événement dans l’histoire de la condition féminine, puis en menant l’enquête auprès d’avocates et de justiciables de France, d’Espagne, du Portugal et d’Italie, l'autrice et metteure en scène Émilie Rousset fait de la reconstitution son esthétique. Un exercice singulier pour les comédiens et comédiennes à qui il est demandé de rejouer de vraies rencontres.

Les dossiers dont il est question dans Affaires familiales, au programme de la 79e édition du Festival d'Avignon, n’ont pas le retentissement de la plaidoirie de l’avocate Gisèle Halimi mais donnent une dimension théâtrale à ce qui se dit dans le bureau d’un avocat spécialisé dans le droit de la famille. En portant cette parole au plateau, une parole que reproduisent des professionnels du jeu théâtral, reprenant avec exactitude le langage de chacune des victimes et l'éloquence variable de leurs défenseurs, Émilie Rousset contraint à une représentation mentale de ce disent ces affaires de l’individu, de la justice, et de la société du XXIe siècle.

 

Un combat contre l’insupportable. Certes, Émilie Rousset a mené ses enquêtes vers des sujets qui l’interrogent elle-même, les enlèvements d’enfants, les violences intrafamiliales, les difficultés réservées aux homosexuels qui veulent faire famille, aux femmes dont l’enfant est victime d’inceste… Autant de combats menés dans l’ombre des « grandes affaires ». En France, la spécialité du droit de la famille et des personnes n’arrive qu’en 5ème position, derrière le droit du travail, du droit fiscal, des sociétés et de la sécurité sociale. Elle s’illustre par un combat contre l’insupportable, contre les violences exercées dans le huis clos familial, contre la prééminence de la preuve quand la parole de l’enfant ne laisse pas place au doute. Rétablir les lignes ou les faire bouger nécessite un engagement sans faille de l’avocat, souvent un militantisme. Engagement, militantisme habitent sans nul doute l'autrice et metteure en scène dans son désir de faire théâtre.

 

Dans la chapelle de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, un immense tapis blanc relevé jusqu’aux murs sépare les gradins des spectateurs. Ce dispositif bifrontal empêche de laisser échapper la parole qui va se faire entendre. Le tapis blanc est l’aire de jeu des deux comédiens et cinq comédiennes, il est aussi le support de silhouettes sombres et, au fil du spectacle, d’images et d’extraits vidéos captés lors des face à face filmés entre la metteuse en scène et ses interlocuteurs, avocates, justiciables, magistrate. La mobilité de leurs mains surgit en gros plan, reproduite sur la scène par le jeu. Neuf chapitres ordonnancent le spectacle, neuf morceaux d’entretiens incarnés par les actrices et acteurs, dans les différentes langues.

En matière de droit de la famille, les dénis et les préjugés semblent avoir la vie dure et dépassent les frontières. Le combat se mène non pas dans le bureau du défenseur mais dans la cour de justice où experts et juges sont seuls à peser dans la décision d’une sentence. En dépit des possibilités de défense et de protection inscrites dans le droit, les avocates voient leur minutieuse entreprise pour construire un dossier s’envoler devant les négations d’un accusé. L’autre aspect touche l’évolution même de la société, les choix de faire famille quand on est deux femmes, deux hommes, dépend des orientations politiques d’un gouvernement, vers lequel évolue, par exemple, celui de Georgia Meloni. Le conservatisme et le patriarcat ressortent souvent victorieux. L’épreuve, la déception, le plaignant et l’avocate la partagent.

Les applaudissements, très chaleureux, saluent ce que dénonce Émilie Rousset, qui ne peut qu’indigner le public.

 

Affaires familiales. Conception, écriture, mise en scène Emilie Rousset. Avec Saadia Bentaieb, Antonia Buresi, Teresa Coutinho, Ruggero Franceschini, Emmanuelle Lafon, Nuria Lloansi, Manuel Vallade. Conception du dispositif scénographique Nadia Lauro.

Le texte de la pièce est écrit à partir d’entretiens réalisés avec des avocates et avocats, justiciables, responsables associatifs et parlementaires.

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