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Festival d’Avignon : Carolina Bianchi et le viol des Cendrillons

par Jacques Moulins
Carolina Bianchi  explore la confusion dans laquelle se trouve la victime d'un viol dans
Carolina Bianchi explore la confusion dans laquelle se trouve la victime d'un viol dans "A Noiva e o Boa Noite Cinderela" © Raynaud de Lage
Arts vivants Théâtre Publié le 10/07/2023
Avec une puissance de conception et de mise en scène remarquable, la Brésilienne Carolina Bianchi interroge la confusion dans laquelle se trouve plongée les victimes de viol et de féminicide.

En deux heures de temps, et sur un thème annoncé dès le début, les viols et les féminicides, Carolina Bianchi fait voler en éclat bien plus que les silences gênés, les désapprobations naturelles, la condamnation de bon sens sur un sujet qui ne fait plus aujourd’hui tabou : les violences faites aux femmes. L’artiste brésilienne va pousser à bout la bien-pensance et les atermoiements, et mettre l’art théâtral à feu et à sang, plus loin encore que n’ont pu le faire Jan Fabre ou Angelica Lidell. Elle mêle à la fois la conférence et la performance, la vidéo et la danse, le texte défilant sur écran et une pièce fragmentée à la hache qui fait pourtant unité.

Tout commence par un seul en scène de Carolina Bianchi qui vient sagement nous raconter, assise derrière sa table, l’histoire d’une œuvre en quatre tableaux peinte par Botticelli en 1483. Projetées sur grand écran, les quatre toiles du maître de la Renaissance illustre l’histoire d’une femme nue poursuivie par un chevalier qui la fait dévorer par ses chiens. C’est un des contes du Décaméron de Boccace, mais le propos est ailleurs : en 2010 un célèbre footballeur brésilien, marié par ailleurs, a rencontré une mannequin dans une soirée. Lorsque cette dernière est tombée enceinte, il n’a pas hésité à la faire tuer par des hommes de main qui ont dépecé son corps et l’ont donné à manger aux chiens. L’horreur ne s’arrête pas là. À sa sortie de prison, une foule a acclamé le footballeur, certains supporteurs osant même porter un masque de chien.

 

Le viol et le meurtre de Pippa Bacca. Nous voilà plongé dans l’abjection complète, mais Carolina Bianchi poursuit encore un discours bien construit qui fera appel, tout au long de la pièce, à des maîtres de la littérature, de Dante à Roberto Boleno qui, dans son roman 2666, s’est penché sur le carnage de Ciudad Juarez, cette ville du Mexique à la frontière des États-Unis où des milliers de femmes ont été violées et assassinées par des mafieux qui les livraient au sadisme masculin.

Avant de terminer son rôle de conférencière, toute de blanc vêtue, la metteure en scène aura encore deux choses à dire au public. La première, c’est que cette pièce raconte la fin dramatique de la performeuse italienne Pippa Bacca qui avait décidé, avec une autre artiste, de partir en stop jusqu’en Palestine, toutes deux étant vêtues d'une robe de noces pour un mariage symbolique de paix entre les peuples. Le voyage, abondamment documenté par des photos, s’est arrêté en 2008 en Turquie où Pippa a été violée et tuée par son chauffeur.

 

« Boa noite, Cinderela ». La conférencière expliquera ensuite l’usage que font certains hommes, dans des bars ou des boîtes de nuit, de la « drogue du violeur » qui non seulement rend la femme soumise et oublieuse le lendemain des événements de la nuit, mais en plus laisse des séquelles dans la mémoire. Cette drogue, nommée par les violeurs « Bonne nuit, Cendrillon » donne son titre à la pièce A Noiva e a Boa Noite Cinderela. Carolina en prépare un cocktail sur scène et l’avale. Par ce geste, elle se met au centre de la pièce, au centre de cette remémoration impossible.

La conférence est bien entendu finie, l’immense écran blanc du fond relevé et nous voici dans le noir, dans la peur, dans l’horreur, dans la réminiscence. Carolina Bianchi, elle le dit elle-même, n’entend pas se servir du théâtre pour mener enquête sur un événement personnel. Elle « explore factuellement, humainement, sensoriellement » l’esprit et le corps de la femme après le crime dont elle a été victime.

 

Le noir profond après le blanc immaculé. C’est un véritable cauchemar que vont faire surgir sur scène huit comédiennes et comédiennes par des danses, des images, des mots, des explosions alors que Carolina Bianchi poursuit son sommeil. Une voiture stationnée sur la scène évoquera peu à peu la soirée, le viol, l’absence qui s’ensuit.

La puissance des mots choisis, la lourdeur de l’atmosphère quelque part dans un désert deviné avec effroi et le corps endormi de l’auteure révèlent la barbarie subie en suscitant l’imaginaire pour en approcher l’horreur et les milles facettes obscures, conséquences du crime. Mais il n’est pas question pour la dramaturge de trouver cohérence. C’est au contraire la confusion dans laquelle se trouve la victime qui est explorée, exposée, avancée sans qu’aucune fin ni aucune limite ne viennent entraver cette recherche qui semble infinie, comme si elle ne pouvait se terminer qu’avec la fin des violences. Cette pièce constitue le premier chapitre d’une trilogie annoncée sous le nom de Cadela Força.

 

 

A Noiva e a Boa Noite Cinderela. Texte, conception et mise en scène de Carolina Bianchi. Création pour le Festival d’Avignon du 6 au 10 juillet au Gymnase du lycée Aubanel. Dramaturgie de Carolina Mendonça. Avec Larissa Ballarotti, Carolina Bianchi, Blackyva, Jose Artur Campos,
Joana Ferraz, Fernanda Libman, Chico Lima, Rafael Limongelli, Marina Matheus. Le spectacle tournera en Europe à l’automne avant d’être repris du 31 janvier au 2 février 2024 au Maillon Théâtre de Strasbourg.

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