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Festival d’Avignon : scène de polémiques et débats nécessaires

par Véronique Giraud
Unwanted, de Dorothée Munyaneza, est l'un des spectacles du Focus Afrique du Festival d'Avignon 2017 © Bruce Clarke
Unwanted, de Dorothée Munyaneza, est l'un des spectacles du Focus Afrique du Festival d'Avignon 2017 © Bruce Clarke
Arts vivants Théâtre Publié le 04/05/2017
Le théâtre a toujours été et reste un espace réservé pour porter la parole des auteurs et incarner les archétypes de nos sociétés. À ce titre, il est intéressant d’observer la polémique ouverte par le programme de l’édition 2017 du plus grand festival de théâtre en Europe.

En introduction de la présentation annuelle, à Avignon et à Paris, du Festival d’Avignon, son directeur Olivier Py mettait en avant les axes forts de la programmation, parmi lesquels un focus sur la scène de l’Afrique subsaharienne. Neuf spectacles figurent au programme de ce focus, quatre chorégraphiques et cinq musicaux. On le sait, Olivier Py tente de se jouer des cloisonnements esthétiques des arts vivants et a introduit le terme indiscipline afin de rendre une réalité esthétique. Danse, musique et arts plastiques s’invitent donc au Festival d’Avignon dépits longtemps, ce n’est donc pas là ce qui a suscité la polémique. Cette dernière est partie de la réaction accusatrice du dramaturge, metteur en scène et comédien Dieudonné Niangouna, pour qui l’absence de théâtre « est bien pire qu’une injure ». Dans une longue diatribe postée sur son compte Facebook, celui qui fut artiste associé du Festival d'Avignon en 2013, et est programmé sur les grandes scènes d’Europe, a jeté l’huile sur le feu et divisé les esprits : « On n’invite pas les gens pour se taire. On n’invite pas les gens sans leur parole, écrit Dieudonné Niangouna. On n’invite pas un morceau de terre sans ses poètes. […] On ne peut pas saboter le sens pour continuer à droguer le plaisir et agiter des oriflammes sous des couleurs africaines c’est bêtement honteux.» Le philosophe et dramaturge Jean-Louis Sagot Duvauroux abonde en écrivant sur son blog que si « les artistes retenus méritent amplement l’honneur qui leur est fait. […] Ces quelques pépites ne rendent pas compte du bouillonnement qu’on voit en Afrique aujourd’hui. Le théâtre est inexplicablement absent de cette programmation, le théâtre d’autodérision notamment, si important dans le relèvement de ce continent humilié devenu champion toute catégorie dans l’art de se placer au dessus de lui-même en riant de soi. Comme s’il était admis de pleurer sur les malheurs de l’Afrique, qui méritent la compassion autant que tout autres, mais déplacé de se moquer avec elle des vices qu’elle exorcise ainsi. Comme si l’Afrique était sans mots pour se dire. »

Jan Goossens, qui défend depuis toujours la scène africaine, d’abord au théâtre KVS de Bruxelles et aujourd’hui au Festival de Marseille qu’il dirige, donne son point de vue au quotidien Libération qui l’a interrogé : « à la fois respectueux du travail de Dieudonné Niangouna, à la fois très perturbé par cette vision extrêmement réductrice de la création contemporaine africaine. Sa vision de l’art dramatique comme lieu exclusif du texte littéraire (une tradition plutôt française) n’est pas du tout centrale en Afrique où les traditions font plus de place au mouvement, au chant, aux traditions orales bien sûr. Le texte littéraire sur les plateaux n’est venu qu’avec les projets coloniaux », rappelle-t-il. Au vu de cette réalité, le focus me semble légitime. Est-ce qu’il est complet ? Je ne pense pas que ce soit l’idée. Il est complémentaire avec ce qui a déjà pu être présenté au Festival d’Avignon en 2013, par exemple, lorsque Dieudonné Niangouna était artiste associé. Mais dire que des artistes comme Serge Aimé Coulibaly ou Dorothée Munyaneza ne sont pas des représentants légitimes du théâtre africain contemporain, c’est comme dire qu’Alain Platel ou Jan Lauwers ne sont pas des représentants légitimes du théâtre contemporain flamand. »

Cette joute témoigne que, si l’actualité culturelle nous a habitué à la place grandissante des auteurs et artistes africains, ou d’origine africaine, dans l’agenda de France et d’Europe, le débat est loin d’être clos et les avis sont partagés sur l’immense questionnement de l’Afrique, immense comme l’est ce continent. Un questionnement autant artistique qu’historique, autant contemporain que post-colonial.

 

 

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