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Avignon : Serebrennikov et l’éternelle Russie

par Jacques Moulins
Neuf acteurs masculins pour les
Neuf acteurs masculins pour les "Âmes mortes" de Serebrennikov. © Alex Yocu
Arts vivants Théâtre Publié le 22/07/2016
Le directeur du Gogol Center de Moscou crée un cabaret en boîte pour neuf acteurs et un pianiste où il représente, dans un spectacle vif et virevoltant, l’éternelle Russie des Tsars à Poutine d'après "Les âmes mortes" de Gogol.

Les Âmes mortes de Gogol (1809 – 1852) sont une œuvre nationale en Russie, malgré le sort néfaste qu’elle eût pour son auteur. L’histoire est aussi simple que géniale : les propriétaires terriens de l’ère tsariste paie l’impôt par capitation, c’est-à-dire selon le nombre de moujiks (serfs) qu’ils possèdent. Entre deux recensements, on continue à payer pour les moujiks défunts, et Dieu sait que la mortalité est importante. Un jeune homme rusé, Tchitchikov, pense pouvoir faire fortune en achetant ces âmes mortes aux propriétaires. Il en achètera plus de trois millions pour les hypothéquer et ces achats seront autant d’occasions de rencontres qui décrivent un pays dans un état tragique.

Pas besoin de détour pour imaginer le lien qui s’impose avec la Russie de Poutine. Violente, corrompue, gangrénée par les mafias, assommée par la vodka, sans grand respect pour l’être humain et surtout sans espoir pour les jeunes générations. Mais avec de l’humour. Et la fameuse sensibilité de l’âme russe. Kirill Serebrennikov, à 57 ans, dirige le Gogol Center de Moscou. Il a mis en scène l’an dernier, pour Avignon, Les Idiots de Dostoievski. Son adaptation des Âmes mortes de Gogol, créée à Moscou, est une merveille. Elle privilégie une suite de tableaux constitués des visites que fait Tchitchikov aux différents propriétaires terriens. Elles sont l’occasion de caricaturer les personnages principaux de l’éternelle Russie avec cet esprit satirique que Gogol a donné à toute son œuvre. Un humour indispensable pour soutenir une vue aussi tragique que désespérante. Les propriétaires et leurs serviteurs sont tour à tour veule, joueur, ivrogne, avare, hypocrite, et mêlent les vices pour éviter toute vertu.

Serebrennikov, qui signe également la scénographie et les costumes, fait un choix singulier pour mettre sur scène contemporaine cette Russie passée. Neuf comédiens, pas une seule femme, se retrouvent dans une scène redessinée en boîte de contreplaqué, avec quatre tables et des costumes contemporains. À la manière des cabarets berlinois des années 20, les acteurs se travestissent pour chaque rôle, forçant le trait clownesque, accompagnés d’un pianiste qu’ils rejoignent parfois le temps d’une chanson. Les tableaux, comme au cabaret, s’enchaînent rapidement, sans laisser de souffle aux spectateurs. Pas besoin de clin d’œil à l’actualité, l’éternelle Russie assure le lien. Toute la distance est mise par le jeu rapide, transsexuel, moqueur, provoquant, d’acteurs qui exagèrent excellemment chaque rôle. Comme chez Gogol, le tout est si bien monté que l’on ne voit la paille que dans l’œil du voisin. De quoi échapper à tout censeur qui rira fort de ces personnages insensés tout en appréciant les chansons à la gloire de la Russie, moquant ces SDF avinés qui ouvrent la pièce.

 

Les Âmes mortes d’après le roman de Nicolaï Gogol, Festival d’Avignon du 20 au 23 juillet. Mise en scène, scénographie, costumes : Kirill Serebrennikov. Composition : Aleksandr Manotskov. Direction musicale : Arina Zvereva. Lumière : Igor Kapustin. Avec : Odin Byron, Oleg Guchin, Ilya Kovrizhnykh, Nikita Kukushkin, Andrey Poliakov, Andrey Rebenkov, Evgeny Sangadzhiev, Semen Shteinberg, Mikhail Troynik, Anton Vasyliev.

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