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Mot de passe oublié ?« Ce personnage m’intriguait, j’ai eu envie de l’incarner au cinéma et de voir si cette histoire pouvait se traduire en images et en sons, et comment elle résonnait avec le monde d’aujourd’hui », c'est ainsi que François Ozon s'est exprimé lors de la cérémonie d’ouverture du festival Cinemed à Montpellier, où était projeté en avant-première son film L’Étranger, adaptation du roman d’Albert Camus.
Ce nouveau long-métrage est dû au hasard puisque c'est suite à l’échec, par manque de financement, d’un film qui devait mettre en scène Benjamin Voisin, qu'Ozon relit L’Étranger, qu’il avait étudié adolescent. Le réalisateur a d’ailleurs demandé à la salle, remplie de lycéens venus de toute la France, s’ils avaient étudié ce roman en cours, la réponse s'est faite par des cris d’acquiescements. Le réalisateur explique alors que, pendant sa relecture, il s’est rendu compte que les thématiques abordées par Camus résonnaient encore fortement aujourd’hui. C'est ce qui l'a amené à proposer ce nouveau rôle à Voisin.
Des thématiques d’aujourd’hui. François Ozon a choisi de donner de la visibilité à « l’arabe » d’une façon plus actuelle qu’Albert Camus. A l’image de l’Algérie française, le roman de Camus prête moins attention à l’assassinat de cet homme qu’au manque d’empathie de son meurtrier, le protagoniste Meursault, à l’enterrement de sa mère. Pour le rendre visible, le réalisateur commence par donner un nom, une identité, à ce personnage anonyme. Ce sera Moussa, incarné par Hajar Bouzaouit. Ozon en fait de même avec la sœur de la victime, jouée par Abderrahmane Dehkani, qu’il nomme Djemila, elle aussi est restée sans nom dans l’œuvre originelle. Le film leur donne aussi plus d’importance et met en avant l’attitude des Français par rapport aux natifs, alors considérés comme des citoyens de seconde zone.
Ozon décide par ailleurs de développer les personnages féminins, afin de permettre au spectateur de s’identifier à quelqu’un, ou au moins de ressentir de l’empathie, ce qui est difficile pour les personnages masculins. C’est également pour cette raison que le réalisateur décide d’incarner la mère, sans cesse mentionnée telle une présence pesante. Pour mieux se familiariser avec le livre et l’univers de Camus, François Ozon a lu sa bibliographie et consulté des spécialistes, dont l’un a dit de l’auteur qu’il était proche de Meursault idéologiquement, mais plus proche de Marie dans son côté vivant et ensoleillé. Il met alors l’accent sur ce personnage, donnant à l’actrice Rebecca Marder toute la place pour briller.
Réserve et manque d'empathie. Le réalisateur explique au public qu’il n’aurait probablement jamais fait le film sans le passage emblématique où un prêtre, interprété par Swann Arlaud, tente de convertir Meursault au christianisme, cependant que ce dernier lui dit qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre et qu’il préfèrerait le passer comme il l’entend. Ozon s’est alors concentré non pas sur l’aspect religieux, qui n’a pas le même impact aujourd’hui, mais plutôt sur les différences d’opinion et la dualité idéologique du dialogue. Cette scène est la seule où l’on voit le personnage réellement exprimer une émotion, au soulagement de l’acteur Benjamin Voisin, connu pour sa grande énergie et son extraversion, semblable à son personnage dans Été 85. L’acteur fait par ailleurs un travail formidable de langage corporel, aux vues des faibles dialogues de son personnage tout en réserve. Le réalisateur souligne alors combien il est difficile pour un comédien d’interpréter l’absence de jeu, de séduction de son public. Il parle alors de l’adaptation de L’Étranger par Luchino Visconti, qui mettait en scène Marcello Mastroianni. Le réalisateur italien avait exprimé qu’il souhaitait originellement proposer le rôle à Alain Delon, car Mastroianni avait un charme naturel et une nonchalance italienne qui ne convenaient pas au rôle, plutôt réservé et attisant la curiosité de ses compères.
Ozon fait également remarquer la coïncidence du parallèle de la sortie de son adaptation avec le procès Jubillar, qui voit un homme être mis en examen et condamné davantage pour son manque d’empathie et d’émotions que pour le crime commis. Cela fait se poser la question au réalisateur : « Est-ce qu’on juge quelqu’un pour son crime, ou pour son attitude pendant le crime ? »
Un tournage méticuleux. La musique du film est composée par Fatima Al Qadiri. La musicienne a d'abord demandé au réalisateur comment il comptait rendre de la visibilité aux arabes dans son film, avant d'accepter de la composer en entendant sa réponse. Par ailleurs, l'utilisation dans le film de la chanson de Robert Smith, Killing an arab, fait la joie du parolier, heureux de la voir remise dans son contexte originel, à l’encontre de l’utilisation qu’en fait l’extrême-droite sur les réseaux ces dernières années. Il avait d'ailleurs changé les paroles en « Kissing an arab » lors d’un concert, afin de mettre en avant son propos initial.
François Ozon choisit ici de tourner en noir et blanc, comme il l’avait fait avec son film Frantz en 2016. Une condition qui lui permet de mettre en avant les émotions, enlevant au public la distraction des couleurs. Le noir et blanc offre également un contraste plus fort, et permet de traduire la luminosité aveuglante du soleil, élément crucial de l’intrigue. Le tournage s’étant passé en avril, l’absence de couleurs a porté l'attention sur le vent et le caractère méditerranéen, tout en cachant le mauvais temps. Le film n’a malheureusement pas pu être tourné en Algérie, aux vues de la situation actuelle, au grand regret du réalisateur qui s’est rabattu sur d’autres lieux d’Afrique du Nord, comme Tanger et Casablanca. François Ozon a demandé aux acteurs marocains d’apprendre le dialecte et l’accent Kabyle, mais par souci de réalisme a fait doubler certains dialogues par des acteurs kabyles à Paris.
Le réalisateur ne souhaitait pas céder à la tentation de narrer ce livre, qui est un monologue intérieur. À la place, il décide de n’utiliser la voix off qu’à deux moments du film, ses préférés.
Le choix du noir et blanc et de ne pas faire l'adaptation d’un roman classique inquiétait François Ozon quant à la réception du public, en particulier le désintérêt du jeune public. Il fut particulièrement surpris de constater qu’énormément de jeunes venaient aux avant-premières, certains partageant même avec le réalisateur combien ils s’identifiaient au personnage de Meursault, dans son désintérêt et ses difficultés à trouver sa place.
Le film sort en salles ce 29 octobre.