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Mot de passe oublié ?Gioia Mia est le premier long-métrage de Margherita Spampinato, qui avait déjà réalisé deux courts-métrages. Présente à l’avant-première du film au festival Cinemed de Montpellier, la réalisatrice expliquait l'avoir écrit et monté avec le soutien de son mari Claudio Cofrancesco, directeur de la photographie sur le tournage. Elle riait « Je ne suis pas monteuse, mais il m’aime beaucoup, il pense que je peux tout faire. » Le film suit Nico (Marco Fiore), un petit garçon du nord de l’Italie qui se retrouve obligé de passer l’été chez sa grand-tante Gela (Aurora Quattrocchi) qu’il ne connaît pas. Au fil des semaines, Nico découvre de nouvelles façons de voir le monde, et fait face au deuil de sa baby-sitter (Camille Dugay Comencini), qui a donné sa démission.
Une réalité tabou. Pour ce film, Margherita Spampinato a été inspirée par sa propre enfance, durant laquelle elle passait les étés chez ses tantes en Sicile. Ces « vieilles filles » étaient très religieuses, leur quotidien était cadré. Cette vie entrait souvent en conflit avec leur sexualité, car beaucoup étaient lesbiennes et ne pouvaient s’assumer. Ne voulant pas se marier, elles se trouvaient dans l’obligation de s’occuper de leurs parents dans leur vieil âge. Si l’homosexualité a toujours existé, elle n’est pas toujours acceptée et Margherita Spampinato trouvait intéressant de montrer qu’un enfant serait moins étonné de cela que de l’attachement d’une personne à un chien, seul compagnon de Gela qu’elle préfère à tout le monde. Enfant, la réalisatrice était saisie par ces histoires tragiques qui lui étaient confiées, il est souvent plus évident de se livrer à un inconnu de passage qu’à une personne proche. Elle a voulu exprimer cela dans la relation entre Nico et Gela, permettant à son personnage de se libérer de ses secrets.
Le deuil et le monde spirituel. Le film traite de plusieurs formes de deuil, qu’il s’agisse de mort ou de finalité, depuis décès dont les personnages ne se sont pas remis à la fin de l’enfance. Les protagonistes se lient d’une amitié sans pour autant comprendre les enjeux de l’autre. Le monde spirituel les accompagne de plusieurs façons, il permet au petit garçon de dépasser ses peurs et de surmonter l’irrationnel, et à la tante de s’accrocher à une lueur d’espoir. L’immeuble, qui fascine les enfants du film, est un personnage à part entière, et Margherita Spampinato et Claudio Cofrancesco ont travaillé à illuminer de plus en plus le lieu, montrant combien l’enfant apportait la lumière dans la vie de sa grand-tante. Lui-même tente de surmonter la perte de sa nounou, dont la réalisatrice disait « Souvent, les parents minimisent cette douleur, mais c’est vraiment, pour les enfants, un très grand deuil. » Les baby-sitters, de plus en plus présentes dans la vie des enfants des jeunes générations, représentent pour elle une image ambiguë, entre attirance et figure maternelle, qui peut être confuse pour l’enfant.
Le choc des cultures. Les différences culturelles entre le nord et le sud de l’Italie sont mises en avant, notamment avec la forte présence d’objets religieux chez Gela. Des objets qui choquent Nico, peu habitué à en voir. Dans ces scènes, l’équipe du film a reconnu son enfance, s'est rappelé le malaise ressenti en partant en vacances dans le sud. Le film montre le monde à travers les yeux des enfants, pour qui la Sicile a une atmosphère magique, une proximité avec le monde des esprits permettant de rester dans un imaginaire qu’ils veulent souvent trop vite dépasser. Le petit garçon apprend également les règles de bienséances auprès de sa tante, comme faire son lit de la bonne façon et mettre la table avec élégance. La cuisine, où on montre son affection aux autres, où on prend soin d’eux, crée le lien entre l'enfant et sa vieille tante au fil du film. Nico vient également avec ses habitudes, comme celle d’être toujours sur son téléphone, un objet que Margherita Spampinato trouve intéressant à l’écran car il donne la vision d’une personne isolée, fermée au monde extérieur, sans besoin de discours.
Un casting exceptionnel. Marco Fiore offre une performance épatante, avec une palette riche. Margherita Spampinato raconte avoir hésité entre trois jeunes acteurs, qui auraient chacun amené le film dans une direction différente. Finalement, c’est sa capacité à entrer en conflit avec la tante qui assurera le rôle au jeune comédien. Afin de travailler son personnage, la réalisatrice a passé une semaine dans la famille du garçon, réécrivant les dialogues en suivant sa façon de s’exprimer pour que le jeu semble plus naturel. Lorsque les comédiens de Nico et Gela se sont rencontrés, ils se sont naturellement mis dans la relation de leurs personnages. L’actrice Aurora Quattrocchi a gagné le prix Léopard pour la meilleure interprétation au festival Locarno pour le film. Margherita Spampinato l’a toujours eue en tête pour le rôle de Gela. Martina Ziami, qui interprète Rosa, une petite fille de l’immeuble, offre également une performance remarquable, et la réalisatrice l’a très vite engagée, la voyant comme une évidence.
Margherita Spampinato partage ses craintes pour l’avenir du cinéma d’auteur, qui disparaît peu à peu en Italie suite à la montée de l’extrême-droite. Le cinéma indépendant favorise une critique qui ne correspond pas à ces courants, mais aujourd'hui le succès commercial passe avant tout. La réalisatrice pense qu’il s’agit là d’une « façon de tuer la pensée du spectateur. »
Gioia Mia n’a pas encore de date de sortie en salles, mais le film a gagné au Festival international du film de Locarno le prix spécial du jury Ciné+, qui permet l’accès à la distribution en France avec un budget de 25 000 euros.