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Guillaume Bachy : « La salle Art et essai met en avant la convivialité et le débat. »

par Véronique Giraud
Guillaume Bachy, président de l'Association des cinémas d'Art et d'essai. © Isabelle Nègre
Guillaume Bachy, président de l'Association des cinémas d'Art et d'essai. © Isabelle Nègre
Cinéma Film Publié le 08/12/2022
Guillaume Bachy préside l'AFCAE (Association Française des cinémas d'Art et d'Essai) depuis octobre. Il est également l'exploitant des trois salles des cinémas du Palais à Créteil. Il nous éclaire sur la situation des salles en France.

Y a-t-il deux cinémas en France ? Un commercial et un art et essai ?

Dans les grandes villes, il y a à la fois des salles de grands circuits, les multiplexes de plus de 8 écrans, et des salles indépendantes, privées, associatives, municipales, dont la programmation est largement tournée vers l’art et essai. Mais c’est oublier les plus de 5 000 salles généralistes en France qui, dans un même lieu, peuvent servir un public jeune, venant voir le dernier Marvel dans un cinéma de qualité, et un public cinéphile, qui veut voir des films en version originale, des films d’auteur, présentés dans les grands festivals.  Il n’y a donc pas deux cinémas. Commercial et art essai peuvent être programmés au sein d’une même salle. Et même au sein d’une même production : l’an dernier par exemple, le film Dune  a été recommandé Art et essai.

 

N’y a-t-il pas par contre deux publics ?

Je suis plutôt d’accord. Il y a différents publics selon les classes d’âge. Un public jeune qui va plutôt aller voir des films commerciaux, de franchise, plus marketés, et un public plus âgé, peut-être plus cinéphile, qui va voir des films d’auteur, des films art et essai. C’est une généralité parce qu’on trouve des jeunes de 25 ans absolument fan de films d’auteur et grands cinéphiles. Mais, dans les grandes masses, les 15-25 ans vont plus voir des films commerciaux, et les plus de 50 ans des films Art et essai.

 

Les moins de 15 ans sont eux dirigés vers la salle par des programmations dédiées et par les séances scolaires qui jouent un rôle dans l’éducation au cinéma.

Une particularité française c’est l’éducation à la culture, et particulièrement au cinéma. Elle démarre dès la fin des années 80 avec Collège au cinéma, organisé par le CNC et la Fédération française des cinémas puis, dans les années 90, École et cinéma, Lycéens au cinéma, Maternelle au cinéma. Et, depuis deux ans, L’AFCAE lance l’expérimentation Étudiants au cinéma afin de couvrir tout le champ de l’éducation au cinéma. Cela tourne autour d’une relation entre jeunes spectateurs et équipes pédagogiques, avec le grand écran comme sortie culturelle. Comme découverte aussi d’un lieu culturel parce que si le cinéma reste le média le plus populaire en France, le plus accessible et le moins cher, il y a encore des enfants qui ne vont pas au cinéma. Soit parce que l’habitude n’est pas prise dans les familles, soit parce que le tarif est cher pour certains. Donc cette sortie au cinéma avec l’école, le collège, le lycée c’est parfois la première découverte du grand écran. Nous pensons que c’est cette découverte qui va après déclencher le désir de revenir au cinéma.

Dans les dispositifs d’éducation aux images, les films que l’on choisit sont avant tout des films art et essai, des films d’auteur, des films sur lesquels l’empreinte artistique va pouvoir toucher les jeunes spectateurs.

 

Comment se programme la diffusion dans les salles d’art et d’essai ?

Un exploitant art et essai a à cœur de découvrir les films avant de les montrer au public. Une des premières choses qu’a mise en place l’AFCAE c’est l’organisation de projections décentralisées, des films dans toutes les régions. Dans les années 80, c’était plus compliqué de voir les films, ils étaient sur pellicule et il y en avait moins, tous les exploitants ne pouvaient pas voir les films. Nous, exploitants art et essai, considérons que voir les films c’est une pratique collective. L’AFCAE a mis en place une plateforme professionnelle de visionnement qui permet à tous nos adhérents de voir les films avant leur sortie. Cela permet aux exploitants de les connaître, de les choisir et de faire naître le désir auprès des spectateurs. Ensuite l’exploitant prend contact avec le distributeur pour une discussion commerciale de gré à gré sur le nombre de séances, le nombre de semaines d’exploitation, les événements possibles, et les conditions du partage des recettes (la limite du code du cinéma c’est le 50/50). La plus grande part de notre travail est d’essayer d’avoir les films au bon moment, au bon horaire, pour le bon public. C’est-à-dire proposer un film avec un nombre suffisant de séances pour que les gens puissent le découvrir.

Une des particularités des cinémas art et essai c’est la multiprogrammation, proposer plusieurs films sur le même écran. Si un distributeur nous impose 4 séances par film on ne peut pas en montrer d’autres, mais avec deux ou trois séances par film on peut montrer un film plus fragile.

 

La plupart des comédies françaises populaires et des blockbusters ne sont pas programmés par les salles d’art et d’essai, pourquoi ?

Je pense que c’est un choix de l’exploitant, c’est aussi peut-être qu’on manque en France de grandes comédies françaises réalisées avec une vraie vision de cinéma, pas seulement des sous-produits audiovisuels. Quant aux blockbusters, c’est plus varié. Il y a l’exemple de Dune, et celui de Nope dernièrement. Cela dépend du film, de la réalisatrice ou du réalisateur. Tout un pan de l’industrie du cinéma n’est pas repris dans les salles Art et essai les plus pointues, mais il peut l’être dans les salles Art et essai généralistes. Il faut que notre public trouve à la fois le cinéma le plus expérimental et le cinéma le plus populaire. Notez que les grands réalisateurs coréens et japonais naissent dans les salles Art et essai et nulle part ailleurs. Pour que le cinéma commercial fonctionne il a fallu que des auteurs soient reconnus.

 

Comment les salles art et essai peuvent-elles se mesurer aux salles commerciales avec leurs super équipements ?

Ce que les salles Art et essai mettent en avant c’est bien sûr la technique mais avant tout la convivialité. Avec un hall assez grand pour pouvoir accueillir le public avant et après la séance pour partager un coup à boire, avoir un temps d’échange et de discussion avec l’équipe du cinéma et entre spectateurs. Au lieu de bornes où on achète son billet continuer à avoir de l’humain, organiser des événements nombreux, des partenariats. C’est ce qui différencie la salle Art et essai d’un multiplexe, où le hall est immense mais souvent vide et où les capacités techniques ne correspondent pas forcément au film qu’on va défendre. Le film Armaggedon Time en 4DX et en son Dolby Atmos, je ne vois pas l’intérêt. Et souvent nos spectateurs nous disent : le son au multiplexe est trop fort. Nous sommes très attentifs à la fois à la qualité de l’image, avec les moyens qui sont les nôtres, qui sont parfois plus précis parce qu’avec trois salles à gérer on peut regarder chaque film qui passe, pour que ce soit le bon format, que l’image soit belle, et à la fois au son. On vérifie pour chaque film que le son est bon, ni trop fort ni trop faible, adapté à la volonté de l’auteur. Donc la capacité de nos salles à gérer la technique c’est d’être fait à taille humaine. Y compris pour nos équipes.

 

La forme documentaire et les sujets sociaux ont pris une part importante de la programmation art et essai. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a toujours eu du documentaire dans les salles Art et essai et depuis les ciné-clubs des années 30, il y a toujours eu des débats après les séances. Mais, en effet, depuis les années 90, de plus en plus de films à thématique sociale, ou politique, arrivent sur nos écrans. Je pense que c’est une volonté qui vient des créateurs, des réalisateurs-rices, des producteurs-rices, qui ne trouvent pas forcément dans la forme audiovisuelle télé la capacité de produire des films. Ils ne veulent pas rentrer dans le 52 minutes télé classique du reportage, du documentaire. Ils veulent avoir plus de temps et des thématiques différentes que celles qui sont validées par le petit écran et vont chercher sur les écrans de cinéma une autre forme de récit documentaire. Les salles Art et essai ont toujours été des lieux d’échanges, de discussions, parfois de désaccords. La salle Art et essai est aussi un lieu de la démocratie de proximité. Des gens qui sont voisins, ou qui ne se connaissent pas mais vivent dans la même zone, peuvent venir discuter, prendre la parole, s'écouter. Je trouve que c’est exceptionnel. La crise des gilets jaunes fut un moment très fort où une parole s’est libérée, elle a beaucoup émergé dans les salles Art et essai. Ce qui se passe aujourd’hui sur la libération de la parole des femmes se joue aussi dans nos salles autour de films qui ont été produits, pensés, réalisés par des femmes.

C’est notre indépendance, c’est la possibilité que nous avons de créer le débat et la chance d’avoir un public volontaire pour partager.

Les jeunes sont entourés d’images depuis 20 ans et, aujourd’hui plus que jamais, il faut que nous leur donnions des pistes pour que derrière ces images ils puissent voir le travail de création, d’auteur, afin qu’ils fassent la différence entre une image commerciale et une image artistique. Il faut qu’on revienne à des fondamentaux parce que les jeunes sont de plus en plus créateurs d’images, il faut qu’eux-mêmes puissent se saisir des outils qui sont autour d’eux et se dire : qu’est-ce que je fais de l’image que je suis en train de créer ?

 

À vous entendre les salles Art et essai sont loin de fermer…

La moyenne des pertes de spectateurs en ce moment sur toute l’exploitation française est de -29%. Ça s’explique, post-Covid, inflation, perte des habitudes, on ne va pas revenir aux niveaux passés en trois mois. Il va falloir trois ans de travail. Mais les salles Art et essai sont à 20%. Le public de la salle Art et essai est fidèle et investi avec sa carte d’abonnement. Avec la crise énergétique qui nous touche actuellement, les salles paient des factures x3, parfois x7, selon nos adhérents. L'avantage est que nos salles, qui sont plus petites, coûtent moins cher à chauffer. Non les salles Art et essai ne sont pas en danger. Bien au contraire, ce sont celles qui ont résisté le mieux à la crise et elles ont tous les outils pour se différencier des sites de streaming, de plateformes. Ce n’est pas sur Netflix ou sur Amazon que vous pourriez voir Mauvaises filles et discuter après avec la réalisatrice. Le voir ensemble se fait dans les salles Art et essai, ça ne se fait pas ailleurs.

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