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Hécube, le drame d’une actrice dans la tragédie d’une reine

par Véronique Giraud
Hécube, pas Hécube, écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues, avec les interprètes de la Comédie-Française, a été créé le 30 juin dans la carrière Boulbon, scène du Festival d'Avignon
Hécube, pas Hécube, écrit et mis en scène par Tiago Rodrigues, avec les interprètes de la Comédie-Française, a été créé le 30 juin dans la carrière Boulbon, scène du Festival d'Avignon
Arts vivants Théâtre Publié le 03/07/2024
Le dramaturge et metteur en scène Tiago Rodrigues offre l’immensité de la Carrière de Boulbon à la figure de la mère, mythologique et contemporaine, Avec "Hécube, pas Hécube". Une grande leçon de théâtre et d’empathie envers le handicap. Avec des interprètes exceptionnels de la Comédie-Française.

On savait Tiago Rodrigues grand conteur d’histoires, de By Heart à Sopro, et magnifique agitateur du répertoire comme pour son duo d'Antoine et Cléopâtre. Son goût pour la réécriture de la tragédie grecque s’est déjà manifesté dans son Iphigénie où les femmes opposent d’autres ambitions au pouvoir et à la guerre.

Avec Hécube, pas Hécube, le dramaturge et metteur en scène prouve une nouvelle fois que, en partant de l’écriture et de la pensée d’Euripide, il peut démythifier la tragédie grecque lui imposant le quotidien du plateau. Sur des sujets aussi sensibles que le handicap et l’amour maternel. Avec la délicatesse de l’âme sensible et la courtoisie de l’humour.

Servie par des comédiens exceptionnels sociétaires de la Comédie-Française, Hécube, pas Hécube se déploie dans l’immensité de la Carrière de Boulbon. Ce lieu qui conserve la mémoire de grandes expériences théâtrales initiées par Peter Brook et son Mahabharata. En cette 78ème édition du Festival d’Avignon, la reine de Troie surgit dans la nuit, lors d’une énième séance de lecture de la pièce d’Euripide. Assis autour de leur longue table de travail, les comédiens en répétition se présentent au public : au centre Hécube, bouleversante Elsa Lepoivre, de part et d’autre le chœur et, à chacune des extrémités, le roi de Thrace Polymestor, Loïc Corbery plus que jamais polymorphe, et Agamemnon, incarné par un royal Denis Podalydès.

 

Les coulisses du théâtre, celles de la vie. Au fil de la pièce, Hécube, mère mythologique de Polydore dont elle pleure la mort, redevient l'actrice qui l'interprète, mère d’un jeune garçon qui doit quitter la table pour honorer un rendez-vous crucial. À partir de cet instant, les autres interprètes changent de rôle pour nous ramener à aujourd’hui. L'une est avocate, l'autre procureur, un troisième le directeur de l’institution qui accueille son fils Otis, diagnostiqué autiste quelques années après sa naissance. S'y ajoute un éducateur accusé par la mère de sévices corporels portés aux enfants handicapés, une aide-soignante témoignant des maltraitances en cours dans l’institution, et enfin le secrétaire d’État en charge de l'aide sociale qui nie toute responsabilité alors que la mère estime que l’État est autant sinon plus responsable qu’un employé qu’on n’a pas formé à sa mission d’éducateur spécialisé.

L’esprit de vengeance qui habite Hécube, qui a tout perdu dans la guerre de Troie, fait écho à l’entreprise de la mère d’Otis tentant de convaincre pour que justice soit rendue. Le ton n’est pas le même, les enjeux de pouvoir non plus, mais quand la mère confie les yeux dans les yeux du public sa souffrance, sa colère, son désarroi, sa détermination, elle porte une humanité universelle. Quand elle prend dans ses bras son fils, symbolisé par la patte qui s’est détachée de l’immense statue de chien trônant sur une haute stèle au centre de la scène, d’abord voilée puis découverte, elle a les allures de Pieta. L’immense sculpture de chien, c’est celle d’un dessin animé qu’Otis regarde en boucle sur un écran, seul personnage de fiction dont il tire des manifestations d’attachement, si rares dans son existence.

 

L’empathie au centre. On apprend davantage à connaître cet enfant de 12 ans dont la mère n’a pas tout de suite décelé les souffrances liées à sa vie en institution. L’immense statue de chien figure l’empathie que, dans une chorégraphie bouleversante, tous les comédiens manifestent dans une gestuelle propre à chacun, la tête recouverte d’un casque, comme celui qui recouvre la tête d’Otis et qui lui permet d’écouter la musique sans perturbation de l’extérieur. Mais la date de la représentation approche et il faut se remettre au travail, d’autant que, comme le signalent ses partenaires à Hécube, elle n’est pas la seule à se confronter à des problèmes personnels.

Les coulisses du théâtre rejoignent ainsi les coulisses de la vie, qu’il faut laisser à la porte avant d’endosser son rôle. Mais parfois, cela déborde, ça déteint, ça s’entremêle. C’est toute la magie de ce spectacle où l’autodérision le dispute au drame. Tandis qu’en bout de table, Agamemnon tient son rang avec distance et sérieux, Loïc Corbery s’inquiète au fil de sa lecture des indications de la mise en scène non abouties, de costumes qui ne ressemblent à rien, d’une mise en scène qui n’en est pas une, lui qui ne sait toujours pas s’il doit entrer côté cour ou côté jardin. Cependant, comme le rappellent tour à tour les comédiens alors que les jours passent, « on a le temps, on est large », un leit-motiv qui revient comme un appel à se rassurer les uns les autres et à transiger avec l’inconnu.

 

Hécube, pas Hécube. Texte et mise en scène Tiago Rodrigues, avec des extraits d'Hécube d'Euripide. Avec les interprètes de la Comédie-Francaise : Eric Genovese, Denis Podalydes, Elsa Lepoivre, Loic Corbery, Gael Kamilindi, Elissa Alloula, Sephora Pondi.
Traduction Thomas Resendes. Scénographie Fernando Ribeiro. Costumes Jose Tenente. Lumière Rui Monteiro. Musique et son Pedro Costa. Collaboration artistique Sophie Bricaire.

Création pour le Festival d'Avignon du 30 juin au 7 juillet, Carrière de Boulbon. Diffusion sur Arte le 5 juillet.

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