Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Comment, il y a vingt ans, a été créé le festival ?
À cette époque, la Ville de Lyon avait déjà un gros réseau de librairies, c’est encore plus fort aujourd’hui, et une vraie tradition autour du livre, avec le musée de l’imprimerie entre autres. En revanche c’est une des seules grandes villes qui n’avait pas une manifestation importante autour du livre. Il y a eu à la fois une volonté de la Ville de Lyon de soutenir une manifestation littéraire et un réseau de personnes passionnées par le polar et travaillant sur cette thématique. C’est un peu une rencontre entre une volonté politique et la passion de personnes qui avaient envie de monter un projet autour de cette littérature.
Comment estimer l’évolution du festival ?
Elle a suivi la même courbe que l’évolution du genre. Quand on a démarré il y a vingt ans, le polar était moins vivant, moins moderne qu’aujourd’hui. C’était encore pour certains une sous-littérature. Il y avait une image à faire évoluer, à changer, et un grand renouvellement des auteurs de polar dans leur façon d’écrire. Le genre a été aussi beaucoup porté par le cinéma, et la série ces derniers temps. Certains auteurs ont marqué le genre et l’ont ouvert à des lecteurs qui n’étaient pas adeptes. Millenium a été lu par un peu tout le monde, après des auteurs comme James Ellroy et Dennis Lehanne. Le festival a vraiment suivi cette évolution, s’est approprié ces nouveaux auteurs, soutenant le genre.
La littérature policière est encore parfois considérée comme un sous-genre, comment la défendez-vous ?
Depuis les débuts du festival, ce que nous défendons c’est que le nombre de lecteurs de polars est très important. C’est un des genres les plus lus. Cela donne déjà une indication sur sa qualité et son intérêt. Quand il y a autant de lecteurs, c’est forcément une littérature qui a des atouts. Ce qui nous gêne à Quais du Polar c’est que quand on dévalorise le genre on dévalorise aussi ses lecteurs. Les lecteurs de polars, on le retrouve dans toutes les études, sont des gens qui lisent beaucoup de livres dans l’année, il faut continuer à défendre cela. Et ce sont des lecteurs plutôt curieux, exigeants. Défendre un genre c’est aussi défendre ses lecteurs, c’est important.
Personnellement, pour avoir travaillé sur d’autres genres, ce que je retiens du polar c’est que les auteurs sont de très grands raconteurs d’histoires, d’ailleurs ils sont souvent scénaristes maintenant. Quand on relit aujourd’hui Nicolas Mathieu ou Pierre Lemaître, qui ont démarré dans le polar, on voit leur qualité d’écriture. Enfin, le polar est un genre qui dit beaucoup de choses, est très ancré dans la société. Ces dernières années, beaucoup de titres parlent de la violence faite aux femmes, de l’écologie. Cette attention est à la racine du roman noir, qui fait partie du polar, de s’intéresser à la société et de dénoncer ce qui ne va pas. C’est un genre important pour cela aussi, les auteurs de polar n’ont pas peur de dire les choses, ce qu’on ne voit pas forcément dans d’autres romans.
On observe depuis quelques années que les auteurs en littérature blanche s’emparent de plus en plus des codes du genre. Il attire des auteurs qui y voient une façon de raconter des choses, de parler de la société. C’est d’ailleurs de plus en plus compliqué pour les éditeurs et les libraires de savoir où placer les livres, il y en a tellement à la frontière du genre.
La demande énorme venant des séries n’impacte-t-elle pas l’écriture ?
Oui, et c’est aussi une attente des lecteurs. Cela devient un réflexe des auteurs de polars, beaucoup d’entre eux sont scénaristes. Chaque année, pour le programme du festival, nous leur demandons leurs références. Longtemps ils citaient des films, maintenant beaucoup citent des séries. Ce sont eux-mêmes des amateurs de séries donc forcément ils en sont imprégnés, ça fait un peu évoluer l’écriture. Cette façon d’écrire était déjà ancrée chez les Anglo-Saxons, elle a été un peu récupérée par les Français mais avec une patte particulière du polar français qui continue à s’intéresser aux questions de société et qui, chez beaucoup d’auteurs, garde une grande attention à l’écriture.
Quelles sont les nouvelles tendances portées par le festival ?
La question des violences faites aux femmes est très présente dans les polars. Il y a aussi une vraie recherche depuis quelques années de ce que nous appelons le polar du réel. C’est tout ce qui touche au fait divers, soit de façon fictionnelle en s’inspirant de faits réels, soit une façon de réécrire des faits divers. De plus en plus de documentaires s’intéressent aux faits divers, et les amateurs de polars sont très attirés par ce type de lecture, cette littérature du réel se retrouve dans plusieurs collections. C’est une vraie tendance.
Cette année, nous avons beaucoup d’auteurs qui travaillent sur l’anticipation, plutôt une anticipation récente. À l’horizon de 50 ou 100 ans, on n’est pas dans la science-fiction. Soit pour traiter de l’IA, du futur numérique, soit pour décrire une société comme on peut l’imaginer dans cinquante ans au niveau politique ou social. Cela donne un éclairage très intéressant sur le présent, et assez inquiétant.
La violence faite aux femmes a toujours été au cœur du polar…
Pas tellement. Elle l’était parce que les femmes étaient victimes, là les femmes sont plus dans la révolte et dans un retournement de situation. Ou alors c’est une violence plus dénoncée que décrite, il y a un discours derrière.
Des femmes auteures, il y en a beaucoup dans le polar ?
Il n’y en a pas autant que d’hommes, mais il y en a quand même et globalement de plus en plus. Reste que ce sont les hommes qui font les meilleures ventes de polars. Mais il y a une vraie évolution par rapport à ça, que ce soit dans les écrits ou dans la façon dont les femmes sont mises en avant dans les collections de polar. Notamment parce que depuis dix, quinze ans, les éditeurs de polar sont devenus pour la plupart des éditrices. Ça change un peu la ligne et la façon d’intégrer les femmes dans les thématiques des catalogues.