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Mot de passe oublié ?Quoi ? Vous pensiez qu’on ne peut pas mettre une HLM sur la scène d’un théâtre ? Et ses habitants acteurs d’une tragi-comédie ? La comédie musicale West Side Story l’avait déjà fait dans les années 60, mais il est vrai que c’est plutôt rare, surtout sur une scène française. Il faut d’abord un texte qui sache être assez proche de la vie sociale et assez distancié pour ne pas plonger dans l’analyse sociologique ou le pamphlet politique. Et oser un décor qui vous bâtisse sur scène cet immeuble avec tout à la fois, l’allure blockhaus qui se prête seulement au béton, les escaliers de dessertes et les minuscules appartements. Voilà déjà un bon départ pour une création qui a la chance, ou la malchance, de se faire entre deux actes des Gilets jaunes.
Un bon départ et une superbe suite. Car par-delà le décor bien planté, le texte de J’ai pris mon père sur mes épaules que Fabrice Melquiot a spécialement écrit pour les acteurs lors d’une résidence de création à la Comédie de Saint-Étienne est une merveille que les acteurs, Philippe Torreton en tête, font plus que servir.
Dramaturgie sociale. Reprenons. À l’image de ce qui se fait désormais sur scène, comme l’a réalisé la scénographe Lizzie Clachan avec Ibsen Huis de Simon Stone au festival d’Avignon en 2017, le scénographe Nicolas Marie a imaginé un cube qui nous présente successivement ses quatre faces : un mur de béton, deux fois deux appartements superposés avec escalier extérieur, et un arrière d’immeuble. Cette construction est essentielle à celle de la mise en scène d’Arnaud Meunier, commanditaire du texte. Dans un appartement vit le père, qui donne son titre à la pièce J’ai pris mon père sur mes épaules. Et le dit porteur, le fils, qui va accompagner le jeune retraité de la mine dans son cancer mortel. Philippe Torreton joue ce rôle loin de toute nostalgie, de tout misérabilisme, de tout exhibitionnisme social. Il décrit au contraire avec humour et réalisme brut ce monde dans lequel il a vécu avec ses amis, lutté dans son travail, un monde qui n’existe plus et qui avait ses beautés, dont l’une, qui lui survivra largement, est sa voisine, sa maîtresse et celle de son fils. Rachida Brackni interprète cette femme hors norme qui interroge sans cesse ses sentiments, sa place, dans une société pas vraiment prête à ça, mais dans une banlieue où tout attachement humain prend importance capitale si l’on veut simplement vivre.
Une leçon d’humanité. Les autres personnages sont à l’avenant. Inattendus et si humains, théâtraux et si réels. L’ami du père (Vincent Garanger), dont la trahison est aussi surprenante que révélatrice des faiblesses humaines. L’ami du fils (Frederico Semedo) miné par les attentats du 13 novembre 2015. Le fils (Maurin Ollès), looser de profession qui n’arrive pas à décoller cette étiquette plombante et s’en va dans un voyage fantasmé pour les derniers jours de son père vers un Portugal mythique qu’ils n’atteindront jamais. Le voyage se transforme vite en vie de SDF où le seul luxe se trouve dans les relais d’autoroute. Aucune misère n’est épargnée, mais la vie, la force de la vie dans ce combat vers la mort, remporte largement le match grâce et uniquement grâce aux personnages qui ne veulent permettre qu’on les en prive. Vivant, fêtant, riant souvent, pleurant, ils donnent une leçon d’humanité peu fréquente au-delà de quelques longueurs que les comédiens surmontent.
J’ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice Melquiot. Mise en scène d’Arnaud Meunier. Avec Rachida Backri, Philippe Torreton, Maurin Ollès, Vincent Garanger, Frédérico Semedo, Bénédicte Mbemba, Riad Gahmi et Nathalie Matter. Création au Théâtre de Nîmes les 6, 7 et 8 février 2019, puis au théâtre du Rond-Point à Paris du 13 février au 10 mars, au théâtre des Célestins de Lyon du 13 au 23 mars, à La Comédie de Saint-Étienne (coproducteur) du 9 au 11 avril. la tournée continue à Annecy, Luxembourg, Sète, Rouen, Villefranche, Marseille, Thonon-les-Bains.