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Il y a 50 ans, la fin du « Printemps de Prague »

par Jacques Moulins
Exposition en août 2018 à Brno sur la ville tchèque au temps du communisme. © Mucchielli/Naja
Exposition en août 2018 à Brno sur la ville tchèque au temps du communisme. © Mucchielli/Naja
Hors-Champs Politique Publié le 20/08/2018
Difficile de trouver dans les rues de Prague envahies par les touristes les signes d'une commémoration du "Printemps de Prague" qui s'acheva, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, par l'entrée des troupes du Pacte de Varsovie dans la capitale tchécoslovaque. Ce formidable vent de liberté a pourtant généré idées et œuvres artistiques marquantes.

En trois décennies, la ville de Prague a bien changé. Libérée par la Révolution de velours, la ville a pris sans complexe les allures d’une station touristique. Impossible de traverser le célèbre pont Charles sans passer par une multitude d’échoppes mobiles, de magasins de bibelots et autres souvenirs attestant pour le visiteur pressé son passage en la ville. Les prix y sont bien plus élevés que dans le reste du pays, et les commerçants n’hésitent pas à proposer un taux de change de l’euro plutôt défavorable aux consommateurs étrangers.

Il y a bientôt trente ans, la cité impériale en finissait avec le joug communiste, l'anniversaire est largement fêté. Sous la pression d’intellectuels signataires de la Charte 77, et de leur leader, l’écrivain Vaclav Havel qui deviendra par la suite président de la nouvelle république, de gigantesques manifestations pacifiques chassent les communistes du pouvoir en décembre 1989, peu après la chute du mur de Berlin.

Difficile cependant de trouver témoignage d’un autre anniversaire, douloureux celui-là. Il y a un demi-siècle exactement, la nuit du 20 au 21 août 1968, les troupes du Pacte de Varsovie entraient dans la ville pour mettre fin à ce que l’histoire a retenu sous le nom de Printemps de Prague. Sans doute le plus inattendu et le plus douloureux mouvement de ce printemps 1968 dans le monde.

 

Une effervescence créative. Dans les années 60, suite à la déstalinisation initiée par Kroutchev en URSS, des réformateurs au sein du parti communiste tchécoslovaque montent dans la hiérarchie jusqu’à la tête de l’État. En 1965, Alexander Dubcek, le nouveau secrétaire général du parti slovaque crée une petite révolution en organisant une indépendance de la presse vis-à-vis du parti avec l’hebdomadaire littéraire Kultumy zivot. Peu à peu, c’est une véritable révolution économique et sociale qui est amorcée, s’appuyant sur une effervescence culturelle extraordinaire. Autour de la Famu, célèbre école de cinémade Prague, la génération des Jiri Menzel (voir notre vidéo d’entretien avec le cinéaste et son interview), Milos Forman, Vera Chytilova, signe un nouveau cinéma considéré comme un moment fort dans l’histoire du septième art. En 1966, dans son film Les Petites Marguerites, Vera Chytilova met en scène deux jeunes femmes qui font preuve d'une liberté, d'une audace et d'une insolence vis-à-vis des autorités que peu d'intellectuels du monde occidental oseront. Elles combattent à la fois les clichés sexistes sur les femmes-comme-il-faut et surtout l'ennui d'une société prisonnière de ses dogmes.

Débats, discussions, remises en cause, créations animent ces mois de printemps dans tous les secteurs de l’activité sociale. La presse, si longtemps muselée, retrouve le goût de l’information. En économie, le ministre Ota Sik, (auteur d’un ouvrage peu connu La troisième voie, traduit en français dans la collection Essais de Gallimard en 1974) prône un nouvel ordre, refusant capitalisme et socialisme d'État, avec un mot d’ordre d’autogestion qui franchira les frontières et animera d’autres mouvements du printemps 68. En janvier 1968, Dubcek est élu secrétaire général du parti communiste tchécoslovaque, amenant avec lui un groupe réformiste qui inquiète le grand frère soviétique.

 

"Socialisme à visage humain". Les témoignages sur cette époque ne manquent pas, notamment dans le livre Le froid vient de Moscou de Zdenek Mlynar, qui a vécu les événements de l’intérieur, ou encore l'ouvrage dirigé par François Fejtö et Jacques Rupnik, Le printemps tchécoslovaque 1968. Mais les travaux d’historiens restent confinés à des revues spécialisées, nationales, non traduites. Peu à peu les nouvelles générations, en république tchèque comme dans le reste du monde, ignorent ce mouvement qui prit le nom de « socialisme à visage humain ». Présenté comme une révolte idéaliste au temps du communisme, voué à l'échec en raison du joug soviétique, il ne jouit pas des travaux de chercheurs qui pourraient mettre en lumière les aspects méconnus de cette nouvelle façon de penser et d'organiser la société.

L'ouvrage d'Ota Sik, qui fuira son pays et deviendra professeur d'économie à l'université suisse de Saint-Gall « n'appartient plus au catalogue de l'éditeur depuis 2002 » prévient Gallimard qui n'a pas réédité cette ouvrage introuvable.

Personnage controversé, Alexander Dubcek paiera pour sa fidélité à l’humanisme et à son peuple cette phase de libertés et de créations. Enlevé puis retenu en URSS, il signera un « protocole de Moscou » pour, dans son esprit, éviter l’inutile bain de sang qui avait ponctué la révolte hongroise de 1956. Renvoyé au pays, il sera rétrogradé à la fonction d’ouvrier forestier. Le « jardinier de Bratislava » sera cependant acclamé en 1989 par les centaines de milliers de manifestants avec Vaclav Havel. Élu président du parlement, il périra trois ans après dans un accident de voiture, en 1992.

 

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