espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Oeuvre > « Je vois rouge » ravive les années noires du peuple bulgare

« Je vois rouge » ravive les années noires du peuple bulgare

par Stoyana Gougovska
Cinéma Documentaire Publié le 29/04/2019
La famille de Bojina Panayotova s’est installée à Paris peu après la chute du régime socialiste en Bulgarie. Intriguée par cette sombre époque et par le silence de ses parents, la cinéaste a décidé de mener son enquête dans son pays natal.  "Je vois rouge" sort en salles en France.

Bojina Panayotova, aujourd'hui trentenaire, a grandi à Paris dans une famille bulgare, qui s'y est installée après la levée du rideau de fer. De sa vie en Bulgarie socialiste jusqu’à ses huit ans, elle garde les souvenirs heureux d’une enfance comblée. Mais, s'intéressant de près la vie sociale et politique de son pays natal, elle s’identifie et partage les doutes d’une génération marquée par une transition post-communiste chaotique. De leurs côtés, ses parents, un artiste peintre et une interprète de français, semblent garder des secrets sur leur vie sous le régime totalitaire. Tout cela pousse celle qui est devenue réalisatrice à se rendre en Bulgarie pour mener une enquête familiale, qu’elle filme méticuleusement, malgré l’agacement tangible de ses parents.

 

Une question de génération. Je vois rouge aborde le sujet du rôle de la police secrète communiste dans la vie sociale de plusieurs générations de Bulgares, et dans leur vie intime. C'est précisément cette dernière qui intéresse Bojina Panayotova, la pousse à poser des questions et finalement à réaliser un film. Embarquée dans le tourbillon d’émotions produites par son enquête, Bojina ne comprend pas au départ que le jugement qu'elle porte sur ses parents ne peut être que noir ou blanc, et que sa propre façon d’investiguer et d'accuser se rapproche étrangement de celle qu'elle condamne si radicalement.

 

Le contre coup du régime. Aujourd’hui, 30 ans après la chute du Mur, les monstruosités du modèle soviétique, très éloignées de la noblesse des idées communistes fondatrices, ne sont plus un secret pour personne. D'autant que les pays ex-communistes sont passés par des périodes de rejet radical envers tout ce qui est en lien avec l’ancien régime. Les années 90 en Bulgarie ont été marquées par des manifestations violentes contre les anciens communistes, dont certains non seulement n’ont pas été tenus responsables pour leurs crimes mais se sont maintenus au pouvoir du pays sous une identité nouvelle, utilisant les mêmes réseaux qu’avant 1989. Les anciens employés de l’appareil de sécurité, licenciés, ont reconverti leur savoir-faire violent dans la nouvelle économie privée. Face à la colère exprimée par le peuple bulgare contre la mafia des « ordures rouges », Bojina Panayotova prend conscience que derrière ses souvenirs d’une « enfance communiste enchantée » se cachent peut-être des secrets difficiles à avouer.

 

Le prix de la tranquillité. L’enfance de la réalisatrice fut marquée par les valeurs idéalisées de fierté et camaraderie qu’on enseignait aux jeunes pionniers. Jamais elle n’a entendu parler des camps de concentration, qui pourtant existaient dans son pays d’origine. Elle n'a connu aucune victime de la répression. Ses photos de famille de l'époque respirent le bonheur : ses parents menaient une vie mondaine, voyageaient en compagnie d'amis aisés. Comment ne pas s’être rendu compte de la souffrance dont on connait aujourd’hui les macabres détails ? Quel était le prix du privilège de la tranquillité au sein du régime totalitaire ? La peur et la colère s’installent alors dans le cœur de la réalisatrice qui « voit rouge ». Le refus de ses proches d'en parler ne fera qu'amplifier son envie de briser ce tabou.

 

Des zones d'ombres. A force d'insister, Bojina obtiendra finalement l'autorisation de ses parents de consulter les dossiers les concernant dans les archives de l’ancienne Sûreté d’État et du Renseignement militaire. Ces derniers n'ont été rendus publics qu'en 2006, un mois avant l’adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. Depuis, chaque citoyen peut consulter les informations qui ont été détenues sur lui soit par le biais de l'espionnage soit avec sa collaboration. Des zones d'ombres persistent pourtant. Pour être "un bon élève de la transition", la Bulgarie a rendu publics les dossiers de collaboration des figures publiques, en commençant par les politiciens. Voulue comme une œuvre d’assainissement de la vie publique, cette divulgation est vite devenue une source de « preuves » pour compromettre des ennemis politiques. En outre, pendant les années ou les « réformateurs » communistes persistaient au pouvoir, des destructions d’archives ont été ordonnées au ministère de l’Intérieur et certaines traces des crimes du régime communiste en Bulgarie ont définitivement disparu…

Face à une mémoire collective amputée, la cinéaste se donne pour enjeu d'unir, au prix de la douleur, la jeunesse, produit de cette époque mais n'ayant pas l'âge d'en réaliser les enjeux, et ses aînés décidés à oublier à tout prix le passé.

 

Partager sur
Fermer