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Jean Bellorini : « Le théâtre doit casser et rassembler »

par Véronique Giraud
Jean Bellorini, directeur du TNP, theatre national populaire Villeurbanne Lyon et metteur en scène. © ©Juliette Parisot
Jean Bellorini, directeur du TNP, theatre national populaire Villeurbanne Lyon et metteur en scène. © ©Juliette Parisot
Arts vivants Théâtre Publié le 27/08/2024
Avant la représentation de "Histoire d'un Cid", que Jean Bellorini a créé pour le festival Fêtes nocturnes de Grignan, un échange avec le metteur en scène qui revient sur la genèse de ce spectacle et s'exprime avec une grande sincérité au sujet du théâtre public.

Pourquoi Le Cid ?

Je me suis dit il faut un grand titre, que ça puisse être joyeux, et que ce soit universel et intemporel. Le Cid est une tragi-comédie profonde sur l’amour, sur l’incapacité à aimer. J’ai remis l’infante au centre. Souvent quand on fait des coupes c’est elle qu’on supprime. Pour moi c’est le plus beau personnage. La dimension amoureuse m’importait et l’infante est celle qui renonce à vivre cet amour pour une fidélité éternelle.

 

Comment avez-vous adapté la pièce en 1h40 ?

Je connaissais Grignan et son public, mettre la joie au centre est important pour moi, je voulais que le spectacle ne soit pas trop long, l’été on n’a pas forcément envie de passer cinq heures au théâtre. Et en juin on était dans une telle période de chaos, de division, que tout d’un coup le théâtre soit ce lieu rassembleur… Qu’on en arrive à faire dire aux 700 personnes « O rage, o désespoir, o vieillesse ennemie… », un texte qu’on connaît tous.

Il s’agit d’une variation, je n’aime pas le terme d’adaptation qui sous-entend une réécriture. Or là on ajoute, on donne du contexte, on situe, mais quand on cite Corneille c’est Corneille. On lui rend hommage. C’est une manière de le mettre au-dessus et de dire : écoutons ensemble comme c’est beau, bien écrit, fulgurant. « Cette obscure clarté qui tombe des étoiles », ce vers est merveilleux.Se rendre compte que, dans chaque scène, il y a ce qu’on appelle les tubes qu’on connaît tous, et il y en a énormément.

Que le Théâtre National Populaire soit présent ici a particulièrement du sens parce que c’est véritablement un théâtre populaire avec l’exigence d’un grand texte du patrimoine, qu’on secoue un peu. J’ai le sentiment chaque soir qu’il y a une vraie adéquation entre un vrai public populaire, une œuvre importante, un spectacle très accessible, un geste plastique.

 

Vous aviez déjà monté Corneille ?

Jamais. Et je n’aurais peut-être pas osé le faire si je n’étais pas au TNP. C’est toujours une alchimie de coïncidences, un désir d’acteur, un lieu, des exigences financières aussi (il y a seulement six personnes sur le plateau, quatre comédiens et deux musiciens). C’est le TNP qui monte le Cid, on ne peut pas oublier Gérard Philippe et Jean Vilar, donc il fallait aussi un peu d’humour. Je ne voulais pas me prendre au sérieux, je voulais faire écho à Gérard Philippe et en même temps que ce soit ludique. On en a fait une vraie fable, qui touche tout le monde. D’où l’idée d’un château gonflable, d’un grand espace à jouer, pour casser tout ça. Une intuition de cette histoire sur l’amour, joyeuse et dramatique, de Corneille. Il est un poète extrêmement bon vivant, plus proche de Rabelais que de Racine.

Il y avait l’obsession du théâtre populaire, de ne pas se prendre au sérieux avec l’héritage du Tnp et du Cid devant cette façade imposante, et de faire un spectacle fédérateur. Peut-être plus fédérateur que si je l’avais monté dans un lieu plus institutionnel. Et ça fait du bien. Le théâtre public c’est aussi ça.

 

Oui, et la conjoncture donne envie de sortir de soi, de casser les codes…

Le théâtre doit casser, rassembler, on doit sortir un peu plus vivant après qu’avant. Au-delà de cette fracture sociale, il y a eu un débat profond à l’intérieur de la gauche, du réseau des artistes, qui disait en gros on a tout raté. Le texte d’Ariane Mnouchkine en témoigne. Et en même temps on assistait en début du Festival d’Avignon à des spectacles radicaux, provocateurs, qui divisaient, qui donnaient raison à ce sentiment. Ils nous forçaient à nous demander : à qui on s’adresse ? Quand on reçoit de l’argent public, on se doit en ce moment de montrer que le théâtre est fédérateur avant d’être provocateur. On a eu tendance ces quinze dernières années à oublier un petit peu le public, à oublier combien c’est bon de raconter des histoires. Histoire d’un Cid est le fruit de tout ça.

 

Et la gestion des grandes maisons de théâtre créées il y a 70 ans, est devenue lourde…

Probablement. Il y a quelque chose à casser là aussi, mais c’est difficile de le dire dans des périodes si dangereuses. Les choses sont devenues compliquées, on s’est inventé des tas de métiers parallèles, les réseaux, les médias, les communications, donc aujourd’hui dans un théâtre il y a tous les métiers de la terre sauf des artistes. C’est un problème. Et en même temps pour rester connecté au monde actuel on ne peut pas se départir de quelqu’un qui s’occupe des réseaux et autres métiers très lourds, et malgré tout on est loin du peuple. Accepter de diriger un théâtre public c’est accepter ce paradoxe et d’essayer de la relier à l’œuvre théâtrale.

 

Comment fonctionnez-vous au Tnp ?

Depuis trente ans, les budgets n’ont pas changé, ils se sont alourdis, donc il en reste de moins en moins pour faire du théâtre. Ça donne raison à ceux qui veulent casser les théâtres, qui disent regardez tout ce que ça coûte pour pouvoir produire si peu. En fait on fait beaucoup. La dimension nationale et populaire du Tnp j’essaye de la revendiquer depuis que je suis arrivé, sa dimension éthique avec des projets comme Les messagères évidemment, sa dimension patrimoniale et vivante en même temps, on aide aussi les auteurs.

 

Avec Les Messagères vous avez trouvé un autre chemin pour le théâtre. Le Festival d’Avignon a programmé plusieurs spectacles où des détenues, des trans, des exclus s’exprimaient en leur nom ou celui de leur communauté, qu’en pensez-vous ?

Il ne faut pas mépriser les auteurs, les œuvres. Pour moi il y a un petit souci à cet endroit. Mettre le vivant au cœur c’est très positif, c’est ce que j’ai fait avec Les messagères, mais là il y a Sophocle qui permet de tenir dans le temps. Je trouve que souvent aujourd’hui le côté sociétal est un peu court. Comment ça construit un théâtre ? C’est un vrai problème. On ne voulait plus d’histoires il n’y a plus d’histoires. Maintenant on ne veut plus de personnages, on ne veut plus de décor, un grand décor n’est pas éco-responsable, ça commence à faire beaucoup. Je revendique aussi les grands textes, les grands spectacles avec de grandes distributions et de lourds décors.

Vous me posez la question de nos théâtres publics, toutes ces maisons de la culture extraordinaires, réparties dans toute la France et qui sont quand même des grands plateaux de trente mètres de mur à mur avec trente mètres de hauteurs et 800 places, il faut quand même un peu habiter ces théâtres. Sinon là encore on donne raison à ceux qui disent ça n’a plus de raison d’exister et ça coûte trop cher. L’idée de ce Cid était aussi de se replacer à cet endroit d’un texte, de personnages.

 

D’où vous vient l’envie de mêler la musique au théâtre ?

J’ai commencé en chantant. Et quand je donne des cours de théâtre, je fais chanter les acteurs à la première séance. C’est une manière immédiate d’exister sur un plateau, on ne peut pas tricher, c’est une métaphore parfaite de toutes les recherches théâtrales.

 

Vous aimez enseigner…

J’étais très investi dans la formation, puis je me suis un peu éloigné de l’école quand j’ai commencé à diriger le théâtre Gérard Philippe. Les comédiens que je fais jouer dans Le Cid ont été mes élèves. J’ai créé la Troupe éphémère que je fais tous les ans avec des jeunes gens qui sont a priori très éloignés du théâtre et qui découvrent un monde, qui s’approprient ce lieu et du coup drainent derrière eux des amis, des amis d’amis, dans une dynamique totalement sincère, pas artificielle. Ils se sentent chez eux. L’idée est venue quand je suis arrivé dans un théâtre public, il y avait un groupe d’amateurs qui était là depuis des décennies. C’était toujours le même petit groupe qui prenait la salle un soir par semaine. J’ai tout de suite arrêté en imposant l'éphémère. La troupe éphémère est née de ça. Et on essaye de mélanger le plus possible des gens qui font des hautes études avec des gens qui viennent d’arriver en France en balbutiant le français et des jeunes de 12 ans. À l’image du monde. C’est ma façon de rester connecté au monde, sans être trop dans l’entre soi théâtral.

 

 

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