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Mot de passe oublié ?La guerre en Ukraine révèle-t-elle une évolution du travail de photographe reporter de guerre ?
Je ne crois pas qu’il y ait une évolution. On a vu des photographes, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, en passant par le Vietnam, la Corée, le Liban, la Yougoslavie, le Kosovo… témoigner avec leur talent des drames de la planète. Le problème de l’Ukraine est que des deux côtés, aussi bien russe qu’ukrainien, la communication est très verrouillée. Les photographes n’ont pas, ou alors très peu, d’accès au front. Il y a aussi beaucoup de jeunes inexpérimentés qui partent au front, on a déjà vu ça en Yougoslavie ou au Kosovo par exemple. Vu les risques qu’ils prennent, je considère que ce n’est pas une bonne chose. Je ne suis pas pour qu’on prenne des risques quand on n’a pas la couverture et l’assurance d’un magazine ou d’un journal.
Comment cela pèse-t-il sur leur travail, leur objectivité peut-elle en être entravée ?
Il y a eu beaucoup de journalistes tués en Ukraine, mais par rapport à la violence des combats on aurait pu craindre bien pire. Par définition même, une guerre est toujours dangereuse pour les journalistes qui la couvrent. Pour le reste, il faut leur faire confiance. Mais par définition, je cite souvent cette phrase du grand Gene Smith. Ce photographe magnifique de Life Magazine a écrit dans la préface de son dernier livre : « objectivité voilà le premier mot que nous devrions retirer de notre folklore journalistique. Il faudrait tendre, et ce serait déjà pas si mal, à l’honnêteté », et moi je crois beaucoup à l’honnêteté des photographes.
Quel sens donnent-ils à leur travail ?
Ils informent, ils témoignent. C’est le boulot qu’ils ont choisi pour essayer d’alerter les populations sur ce qui se passe dans ces pays-là. Il y a des années, quand Kouchner s’occupait de Médecins du monde, il disait qu’il n’y avait pas de guerre sans images. Ce n’est pas nouveau mais c’est vrai même si c’est un poncif qu’une image vaut mille mots et qu’une image de Evgeniy Maloletka (photographe de guerre ukrainien lauréat de Visa pour l’image 2022 - NDLR) de la maternité de Marioupol est plus forte, plus parlante et plus marquante qu’un article qui décrirait les bombardements sur cette maternité.
Ancien photographe de l’agence Sipa Press, Jean-François Leroy a travaillé pour plusieurs magazines photo dont Photo Magazine dont il a été le rédacteur en chef. Il a collaboré avec Yann Arthus-Bertrand au projet 3 jours en France qui peignait le portrait de la France en 1989, 150 ans après l’invention de la photographie.