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Jim Harrison, le décès d’un géant de la littérature américaine

par Jacques Moulins
FRANCE - SEPTEMBER: Author Jim Harrison poses while in France during September 2002.(Photo by Ulf Andersen/Getty Images)
FRANCE - SEPTEMBER: Author Jim Harrison poses while in France during September 2002.(Photo by Ulf Andersen/Getty Images)
Livre Roman Publié le 28/03/2016
Décédé samedi 26 mars, à l’âge de 78 ans, d’une crise cardiaque à son domicile dans l’Arizona, Jim Harrison aura publié quatorze romans et dix recueils de poésie, écrits à cheval sur deux siècles. Son écriture est à la mesure de ce personnage hors norme, amoureux des grands espaces, gastronome, grand buveur, défenseur des Indiens et rétif à toutes les institutions où l’écriture s’ankylose.

Comme écrivain, Jim Harrison n’est né ni d’un milieu intellectuel, ni d’une blessure profonde. Dans son œuvre, ça se sent. Petit-fils de fermiers, fils d’un ouvrier agricole devenu agent agricole, il dit avoir vécu une enfance heureuse, même si elle ne fut pas exempte de malheurs, comme il le raconte dans En marge, une biographie tirant sur l’autofiction. Le premier, alors qu’il n’a pas huit ans, lorsqu’il perd accidentellement un œil au cours d’un jeu. Le second à vingt-cinq ans, lorsque son père et sa sœur Judith meurent dans un accident d’auto. Il décrit sa jeunesse dans un souvenir de liberté absolue que lui donne la vie dans la nature et l’amour familial.

Les grands espaces de son Michigan natal peuplent les romans de ce « viveur » invétéré, chasseur, pêcheur, gastronome, amateur d’alcool jusqu’à l’excès. Comme le respect de son père, à demi-suédois « sa famille était originaire d’une région située au nord du cercle arctique, dans le pays des rennes » (Une Odyssée américaine). Il raconte dans ses mémoires, que son père est sorti lui acheter une machine à écrire lorsqu’il lui a avoué son désir d’être écrivain, plutôt que de lui faire un discours moralisateur sur la bohême de ce métier. Il avait alors seize ans. Il explique sa motivation : « par mes convictions romantiques et le profond ennui ressenti face au mode de vie bourgeois et middle class » (En marge).

 

L’horreur des middle class. Un mode de vie qui lui semble un obstacle à la liberté et à la vérité, à l’inverse de la vie sauvage et de la culture autochtone que Jim Harrison défendra avec constance. Certain qu’une nation ne peut se bâtir sur l’oubli coupable de son histoire, il sera le défenseur de la culture indienne, une culture vivante dont l’héroïne prendra le nom de Dalva. Impossible d’imaginer un tel personnage, une femme libre, blessée, sauvage, attachée aux racines, mais vivant de l’avant. Quant à la liberté, Big Jim a pour elle un amour inconditionnel et féroce, c’est le Saint Graal de tous ses personnages, même si sa quette et tout sauf un cheminement chevaleresque. L’adolescent David comprend enfant que « à cet âge, les parents sont encore des dieux, même si chaque année ils rapetissent » (De Marquette à Veracruz) et Chien Brun avoue que son passé qu’il essaie de raconter ne veut pas « se mettre à table », il a « toutes les raisons du monde pour prendre la tangente et refuser de cracher le morceau, lequel chez la plupart d’entre nous se résume à un gros paquet de merde » (La femme aux lucioles).

 

Son style marque l’Amérique des grands espaces, parcourant inlassablement le midwest des Etats-Unis, ses lacs, ses forêts, ses petites villes. La mégapole où l’on « ne peut pas comprendre le rapport entre le métier des citadins et l’endroit où ils habitent » (En route vers l’Ouest) n’a guère ses faveurs. Il sait aussi avoir le laconisme d’un Hemingway qu’il ne portait pas particulièrement dans son cœur, bien que la comparaison ait été fréquente : « Je n'ai jamais beaucoup aimé Hemingway » confie David dans De Marquette à Veracruz. Il a aussi la crudité de tant d’écrivains américains, notamment lors des évocations sexuelles, appelant les choses et les désirs par leur nom. Sa singularité, c'est de décrire d'un trait une émotion, puis de parler de la nature en donnant aux lecteurs la conviction qu'on parle toujours de la même émotion.

Dans ses trois derniers romans, dont Péchés capitaux publié aux États-Unis et en France en 2015, il a créé un nouveau personnage, l'inspecteur Sunderson, qui navigue dans le roman noir américain sans toutefois en épouser les codes. Ne serait-ce que parce que Sunderson reste un grand pêcheur de truites.

Diplômé de l’université d’État de New-York, il abandonnera très vite la carrière enseignante, préférant acheter une ferme dans le Michigan et vivre, avec sa femme et ses deux filles, de quelques articles et écrits. Il devra beaucoup aussi à son ami l'acteur Jack Nicholson qui n’hésitera pas à devenir son mécène. Démocrate de gauche, il restera par ses écrits le défenseur intransigeant de la cause des minorités. Et dénoncera la violence endémique et consanguine à la société américaine comme une limite à la liberté.

 

Jim Harrison est né en 1937 à Grayling (Michigan). Ses romans sont traduits en français par Brice Matthieussent et édité par Christian Bourgois jusqu'en 2007, puis par Flammarion depuis Odyssée américaine (2009). Ses romans antérieurs à 1990 onté ét publiés par Robert Laffont.

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