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Le Banquet Kapital, effervescence de la création

par Jacques Moulins
Un banquet propre à la révolution de 1848 selon Sylvain Creuzevault.DR
Un banquet propre à la révolution de 1848 selon Sylvain Creuzevault.DR
Arts vivants Théâtre Publié le 12/06/2019
La révolution de 1848 a été préparée par une "Campagne des banquets" afin d’obtenir la proclamation de la république et le suffrage universel. Et après ? Dans cette effervescence révolutionnaire, Sylvain Creuzevault convoque au Printemps des Comédiens un "Banquet capital", social et jubilatoire.

Même si Jeanne Duval y donne sa main à Charles Baudelaire, le banquet de Sylvain Creuzevault n’a qu’un point commun avec celui de Platon. On y parle très peu d’amour mais la dialectique est présente. Non dans sa version métaphysique, mais dans sa version matérialiste historique. Car, dans ce banquet, on commente le Kapital de celui qui, à cette date, ne l’a pas encore écrit, le philosophe Karl Marx. Le premier tome de l’œuvre majeure qui va déchirer les socialistes et occuper tout le XXe siècle n’est en effet publié qu’en 1867. Le Banquet capital, présenté sous un chapiteau du Printemps des Comédiens dans un texte et une mise en scène de Sylvain Creuzevault, se déroule le 13 mai 1848, en pleine révolution qui renverse Louis-Philippe et proclame la IIe république.

Il se tient rue Transnonain, dans le Club des amis du peuple fondé par Vincent-François Raspail sur le modèle des clubs révolutionnaires parisiens de 1789, ce même Raspail qui, le 25 février, a obtenu l’abdication du roi et la république. La révolution de février voit éclore près de 500 clubs et un nombre impressionnant de journaux. Mais l’auteur invite à ce banquet les leaders d’autres clubs radicaux, le député socialiste Armand Barbès du club de la révolution, Auguste Blanqui de la société républicaine qui prône la violence insurrectionnelle, les deux membres socialistes du gouvernement provisoire Louis Blanc et Alexandre Martin surnommé « l’ouvrier Albert ». La sœur de Barbès et une républicaine polonaise, à l’heure où la Pologne réclame l’aide de la France dans son insurrection pour chasser les Prussiens, un ouvrier et Daniel Borme, un chimiste transformé en esthète fou, sont également à la table.

 

Convivialité sur scène. Louis Blanc est alors célèbre. Durant deux ans, ses talents d’orateur ont marqué la Campagne des banquets, une organisation de repas à travers toute la France pour obtenir la république et les élections au suffrage universel. Mais ce banquet-là, qui se tient sur scène entre deux rangées de spectateurs, a un autre objet. La république a été proclamée, le suffrage universel masculin a élu une assemblée constituante. Un gouvernement provisoire en est sorti qui comprend toutes les tendances républicaines. Outre les socialistes déjà cités, Alphonse de Lamartine et Alexandre Ledru-Rollin seront appelés comme témoins dans la pièce.

Voilà pour le cadre historique. La pièce le déborde goulument. Elle va d’abord s’attacher, à travers les querelles des participants, à montrer comment la question sociale s’invite à la Constituante à travers la revendication des convives pour l’institution d’un ministère du travail et d’ateliers sociaux, idée chère à Louis Blanc qui fait entrer l’État dans le processus de production. Mais pas à la manière des historiens. Les acteurs réinventent en effet l’acte de création et si un dialogue étonnant métaphorise le Kapital de Marx, c’est surtout l’acte de création, avec ses fulgurances, ses utopies, ses querelles, ses mauvaises fois assumées, ses imaginaires déployés, qui tient la scène. Humour, comédie et extravagance sont les obligés de cette invention de la société moderne où l’on ne sait plus qui est de gauche, qui de droite. Ça ne vous rappelle rien ?

 

L'acte de création au centre de la table. Ce banquet est donc un creuset où se discutent les idées qui vont fonder l’argumentation communiste. Il semble à la fois dérisoire, selon la fable qui veut qu’autant il y a de révolutionnaires dans la salle, autant il y a de partis qui excommunient les autres, et conscient de son apport à l’histoire puisque la question sociale fera désormais partie de la question politique.

Il porte aussi en germe les raisons de son échec. L’année suivante, la plupart des convives est condamnée à la prison ou à la déportation, c’est le second acte de la pièce. Trois ans après, Napoléon III met fin à la république et étouffe les revendications sociales. Et bien des années après, le rouble persistera à ne pas distinguer valeur d’usage et valeur d’échange, si chères au penseur de Trèves. Mais l’effervescence, la soif de justice, la foi en une humanité solidaire et créative ne sont jamais écrasées. Et Sylvain Creuzevault nous en présente les joies et les rires plutôt que les déchirements et les terreurs. De quoi nous donner faim.

 

Banquet Capital. D’après Le Capital de Karl Marx. Mise en scène : Sylvain Creuzevault. Printemps des Comédiens du 9 au 14 juin. Avec Vincent Arot ou Vladislav Galard (en alternance), Benoit Carré, Antoine Cegarra, Pierre Devérines ou Pierre-Félix Gravière (en alternance), Lionel Dray, Arthur Igual, Clémence Jeanguillaume, Léo-Antonin Lutinier, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Sylvain Sounier, Julien Villa et Noémie Zurletti. Régie générale : Gaëtan Veber. Production : Compagnie Le Singe / Elodie Régibier.

Prochaines dates : Du 4 au 12 octobre, Théâtre National de Strasbourg ; du 22 au 30 avril 2020, MC93 Maison de la culture, Bobigny ; les 6 et 7 mai 2020, Le Moulin du Roc, Scène Nationale de Niort ; le 9 mai, L’Empreinte Scène Nationale de Brive-Tulle ; le 12 mai 2020, La Fonderie, Le Mans.

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