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Mot de passe oublié ?Pourquoi avoir choisi l’obédience hip hop ?
D’abord parce qu'il est totalement gratuit, et libre. Le hip hop est un territoire de liberté encore vacant, qui n’est pas encore institutionnalisé comme d’autres danses. Ensuite on se reconnaît très vite dans cette danse pratiquée par les minorités aux Etats-Unis. Quand elle est arrivée en France dans les années 80 on s’est dit ça nous ressemble, c’est à nous. Je n’étais pas en banlieue, je vivais dans un village, mais l’information est venue par la télévision. On s’est très vite reconnus et c’est la danse hip hop qui nous a permis de rentrer dans le contemporain.
Le hip hop devient reconnu, peut-il maintenir cette authenticité, cette gratuité ?
Pour moi, c’est une culture presque orale, qui s’inspire du quotidien. Maintenant elle se transmet grâce à la vidéo, mais elle est extrêmement mouvante. C’est une danse qui va aussi vite que l’urbain. Les transformations urbaines sont étroitement liées à l’idée de saccadé, de rapidité, de tourner. Toutefois deux mondes cohabitent, les puristes d’un côté qui veulent conserver les valeurs de cette culture, de l’autre ceux qui s’aventurent dans l’avant-garde, dans la créativité, le renouvellement. Ils pensent autrement. Et parce que la création nécessite une remise en question, ils changent les codes. Pour moi, ces deux points de vue ne s’opposent pas.
Historiquement, avec la figure Thomas, les danseurs de hip hop étaient à leur début considérés comme des gymnastes. Dix ans après, la danse hip hop en a fait une figure incontournable. C’est une histoire de valeurs plus que d’esthétique.
Vers quelles cultures portent vos métissages ?
Je crois à des identités multiples. Le sinologue François Jullien dit qu’on est fait de plusieurs cultures. Mon identité n’est pas du tout figée, ni dans le temps, ni dans le corps. Elle est mouvante et multiple. Je ne suis pas né en France, j’y ai grandi, je voyage beaucoup, je pars dans dix jours pour travailler à Hong Kong.
Quelle est la philosophie de la compagnie ?
C’est l’idée de créer pour toucher le public. Le fait de n’être pas né en France et de m’y retrouver sur scène ravive un lien fort avec l’enfance, pour moi passée au Maroc. Tout artiste a des souvenirs, vrais ou fantasmés, qu’il a envie de mettre sur scène. On peut tout mettre sur une scène, et dire des choses au plus grand nombre, avec nos mots que sont les corps.
Dans vos dernières pièces, que disent les corps ?
L'idée de départ est celle de la violence. Exceptés mes parents qui sont en France, ma famille vit au Maroc. J'y retourne régulièrement, et je perçois à chaque fois une tension psychologique. Notre famille est très nombreuse, et très élargie socialement. Je suis un peu au milieu de tout ça et je voyage. Sans prendre parti, même si nous sommes considérés comme des bourgeois puisque vivant en France. J’ai grandi là-bas, ma langue est restée intacte, ma culture aussi. Quand je suis au Maroc je me sens marocain, je le vis pleinement, même si on me renvoie autre chose.
Il y a quelque chose de schizophrénique. Certains sont très attachés à la religion, à la tradition, d’autres complètement tournés vers l’Occident, la modernité. Les choses se confrontent et vivent ensemble, ou en parallèle. En voyageant, en Tunisie ou en Égypte par exemple, je sens aussi cette friction. À l’image de la rencontre de plaques techtoniques, une énergie est là qui vient de cette friction.
Et à travers votre pièce TRANSE ?
TRANSE a été créée au lendemain des révolutions des Printemps arabes. J'étais en Tunisie pour rencontrer des artistes et parler avec eux de mes questionnements. Ils me parlaient de chaos, j'ai senti une friction. En même temps, l’histoire des pays arabes est très belle, très riche, par la poésie par exemple. Dans TRANSE, des poèmes sont scandés, en arabe et en français. Cette civilisation a perdu de son aura, elle est restée à l’état de fantasme, lointaine. La tradition est un poids. Il ne devrait pas être lourd à porter à mon sens. En vivant en France, je perçois une incompréhension de ce qui se passe là-bas. Un énorme malentendu, qui fait qu’on n’entend pas parler dans les médias de la poésie arabe, des artistes.
A l’ère de la mondialisation, toutes les sociétés ressentent ces chocs que vous décrivez. Mais vous semblez porter la souffrance d’un déni, d’un silence ?
Sur scène, il y a la relation que peuvent avoir les danseurs entre eux. La relation entre les hommes est pour moi très importante. Les interprètes doivent incarner une forme de puissance, et derrière cette puissance une fragilité. Ça produit de la pensée, elle manque dans certains pays qui deviennent très conservateurs. Quand on conserve trop, quand on reste bloqué à une époque, souvent fantasmée. La pensée elle aussi est brimée, on ne s’autorise plus à penser autrement. Or penser autrement c’est la richesse de l’homme.
L’expression artistique offre elle aussi plusieurs lectures au spectateur…
Oui bien sûr. Mais ce que je défends aussi c’est de critiquer, soulever des questionnements sur des cultures, sur des sociétés, sans jamais blesser quiconque, sans jamais faire des choses à la mode, par exemple en critiquant la religion. Je ne m’inscris pas du tout là-dedans parce qu’il y a une grande facilité à critiquer tout ce qui ne nous ressemble pas. Ce sont les mêmes qui de l’autre côté critiquent violemment le monde occidental. C’est pour cela que je parle d’incompréhension, de malentendu.
Näss (Les gens) / Cie Massala - Fouad Boussouf. Création 2018 pour 7 danseurs Le 3 mai au Prisme d'Elancourt (78). Le 31 mai au Manège de Reims (51). Le 1er juin au Théâtre André Malraux de Chevilly-Larue (94).
Originaire du Maroc, Fouad Boussouf arrive en France en 1983. Nourri de cultures pop, rock, funk, il prend ses premiers cours en jazz et participe à des ateliers de cirque. Il participe à plusieurs stages de danse nationaux. Parallèlement, il obtient son diplôme de maîtrise en sciences sociales et est titulaire en 2002 d’un DESS en ingénierie de la formation. Il fonde la compagnie Massala en 2006. Sous le signe du métissage culturel, elle est empreinte de cultures aussi diverses que le hip-hop, la danse contemporaine et le nouveau cirque. Ses créations (dont notamment Déviation en 2008, A Condition en 2011, et Transe en 2013) témoignent de cette inclinaison à mêler les styles et les pratiques artistiques. Depuis ses origines, la compagnie revendique son ancrage dans le Val-de-Marne.