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Le genre Pontus Lidberg

par Jacques Moulins
Les danseurs du Danish Danse Theathre © RAPHAEL SOLHOLM
Les danseurs du Danish Danse Theathre © RAPHAEL SOLHOLM
Arts vivants Danse Publié le 20/06/2022
Deux pièces étaient au menu de la représentation de Pontus Lidberg et du Danish Dance Theater, invités de Montpellier Danse. Un seul style mais deux ambiances très différentes entre "Les Sept péchés capitaux" de Bertolt Brecht et Kurt Weill et la création "Roaring Twenties" coproduite par le festival.

Une fois n’est pas coutume, la belle salle de l’Opéra Berlioz a ouvert sa fosse au festival Montpellier Danse. L’Orchestre national de Montpellier était convié pour la première partie d’un spectacle qui a ravi le public. Aux commandes, le chorégraphe Pontus Lidberg qui dirige un ballet d’exception, le Danish Dance Theatre.

Première partie donc, avec Les Sept péchés capitaux, une pièce du duo formé par le dramaturge Bertolt Brecht et le compositeur Kurt Weill qui, dans l’Allemagne de la République de Weimar, ont inventé un théâtre musical marqué notamment par l’Opéra de quat’sous.

Die sieben Todsünden, son titre original où l’idée de mort est plus présente que dans notre langue, fut la dernière collaboration entre les deux hommes. Le contexte n’est pas négligeable : en janvier 1933, Hitler est nommé chancelier, le mois suivant l’incendie du Reichstag sert de prétexte à l’interdiction de l’opposition et à l’arrestation de ses dirigeants. En mai, les œuvres de Brecht sont brûlées en place publique lors d’un autodafé cher aux nazis qui ont au préalable perquisitionné le domicile de l’écrivain. En juin Les Sept péchés capitaux sont créés au Théâtre des Champs Élysées à Paris, et Brecht, Kurt Weill et son épouse la chanteuse Lotte Lenya (qui interprètera l’Anna des Sept péchés capitaux) ont pris le chemin de l’exil. La pièce est un ballet chanté commandé pour George Balanchine, où l’on retrouve le génie des deux hommes. L’art des songs de Weill lié aux textes à la fois poétiques et didactiques de Brecht sont devenus aujourd’hui comme le symbole du Berlin d’avant l’horreur nazie. Sans toujours le savoir, tout le monde connaît La Complainte de Mackie.

 

Chorégraphie douce et sans conflit. Mais la France de 1933, comme peut-être celle de 2022, si elle compatit aux douleurs des exilés, ne prend pas vraiment conscience de ce que l’Europe s’apprête à vivre. À sa création, l’argument de la pièce n’est pas saisi, pas plus que la chorégraphie. Pontus Lidberg a fait le choix d’ignorer le contexte, la contradiction de la morale « petite bourgeoise » entre impératifs religieux et soif d’argent et de reconnaissance sociale. Le chorégraphe danois, associé au metteur en scène Patrick Kinmonth, a choisi un autre prisme, incluant la question du genre et conservant la distanciation chère à Brecht ici construite par la chanteuse en meneuse de cabaret, incarnée par la blonde pop star danoise Oh Land, et les quatre chanteurs vêtus comme des klutz (mendiants estropiés de la première guerre mondiale) qui content l’histoire que les danseurs interprètent. L’introduction de marionnettes renforcent encore le phénomène.

Dans un décor année 30 fait de portiques noirs successifs cadrés par des filets argent, la chanteuse ordonne l’ensemble et distribue la pièce, metteuse en scène de l’intrigue comme des gestuelles. L’occupation de l’espace est harmonieusement établi, le solo répondant souvent au groupe. Illuminés de costumes mêlant baroque et flamboyant, danseurs et danseuses épousent les genres à les confondre et glissent dans la chorégraphie douce et sans conflit de Lidberg.

 

Avant la chute. Le même esprit, le style sans doute de Pontus Lidberg, prévaut dans la seconde partie, création pour Montpellier Danse. Roaring Twenties n’a besoin ni d’orchestre, ni de texte. Le décor est minimal, composé de chaises d'époque, les costumes de ville, nous voici dans les années 20, les nôtres en fait, où le corps libéré prend possession de l’expression. La musique de Den Sorte Skole impacte les figures, inspirée de plusieurs tendances du siècle.

La lecture de la feuille de salle annonce une pièce écologique. On peut très bien l’oublier et se laisser couler dans l’énergie, dans le mouvement de danseurs qui se visent et se divisent, se rattrapent juste avant la chute et tente un solo où la passion n’est pas absente. C’est toute la fragilité du corps confronté à celui de l’autre ou des autres qui s’avoue et s’assume. Et si, pour une fois, il n’était pas besoin de mots pour expliquer la danse, pour lui donner sens, pour la doter d’une rationalité qui la dépasse autant qu’elle la dépasse ? Le public ne s’y est pas trompé, emporté par la beauté du geste, il a salué la grâce et le dynamisme d’une danse danoise peu connue des Français.

 

Les Sept péchés capitaux (création en France) suivi de Roaring Twenties (création mondiale). Chorégraphie Pintus Lidberg. Danish Dance Theatre et Royal Danish Opera. Montpellier Danse, Opéra Berlioz 18 et 19 juin.

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