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Le patrimoine industriel au menu d’Usimages

par Jacques Mucchielli
Trois puits de mines forment le Carreau Wendel en Lorraine ©TréviersNaja
Trois puits de mines forment le Carreau Wendel en Lorraine ©TréviersNaja
Fermée un siècle après sa construction dans le style Art déco, la Sucrerie d’Eppeville dans la Somme est classée monument historique et attend son projet de rénovation.. DR
Fermée un siècle après sa construction dans le style Art déco, la Sucrerie d’Eppeville dans la Somme est classée monument historique et attend son projet de rénovation.. DR
Hors-Champs Croisement Publié le 31/03/2023
Le XXe siècle a abandonné sur le territoire français de nombreuses friches, mines, manufactures et usines abandonnées qui marquent la mémoire industrielle du pays. Nombre d’entre elles ont fait ou font l’objet de réhabilitation. Le 15 avril s’ouvre, à Creil (Oise), la cinquième édition de la biennale Usimages, qui expose en photos le passé économique et social d’un époque révolue.

On est là au bout de la France, quelques pas de plus en direction du nord-est et c’est l’Allemagne. C’est dire si les trois puits de mines qui forment le Carreau Wendel sont chargés d’histoire. Exploités par la Compagnie des houillères de Petite-Rosselle, la commune de Lorraine où ils se trouvent, ils appartenaient à la famille Wendel qui, avant de détenir le fonds financier qui fait aujourd’hui sa fortune, était à la tête du grand empire sidérurgique de la Sarre. Comme tout le département de la Moselle, la mine créée en 1856 en France passera en Allemagne en 1870, puis reviendra en France en 1918 avant l’occupation nazie.

Le Carreau Wendel fait donc partie de la grande histoire, mais aussi de l’histoire sociale. Celle d’un temps où la classe ouvrière, celle des mines et des usines, pesait sur la vie du pays. Nationalisés en 1946, les trois puits employaient des milliers de famille de mineurs, les grands parents de nombre de foyers lorrains d’aujourd’hui. Le troisième cessera définitivement son activité en 1986.

 

Conserver la mémoire industrielle. Qu’allait-il alors advenir du site ? Les bâtiments allaient-ils rejoindre le sort de ces constructions industrielles fantômes, aux vitres brisées, au fer rouillé, dont la France des années 90 commençait à se peupler ? Le plus important site d’extraction minière encore conservé dans le pays ne pouvait ainsi sombrer dans l’oubli. Doté d’un musée dénommé La Mine, il restitue cette riche histoire pour les scolaires comme pour les adultes, sans omettre la vie quotidienne des familles ouvrières.

Comme la mine sarroise, de nombreux sites industriels connaissent une seconde vie. Si le passé y est toujours l’objet d’exposition, les anciennes usines sont souvent reconsidérées en lieux culturels. À l’image du vaste complexe sidérurgique voisin allemand du Carreau, Völklinger Hütte, patrimoine culturel classé à l’Unesco qui organise de grandes expositions réputées dans les salles des machines, des parcours industriels, et une Biennale du Street art dans les sous-sols.

 

Des lieux culturels vivants. Ces lieux offrent, en plus de la mémoire d’un siècle, de larges surfaces au cœur des grandes cités. Ils sont l’objet, depuis 2015, de la biennale Usimages qui tient sa cinquième édition du 15 avril au 11 juin dans la ville de Creil sans l’Oise (voir l’entretien avec son fondateur, Fred Boucher)

Désaffectée en 1986, comme le Carreau Wendel, l’ancienne usine Lefebvre Utile de Nantes, qui produisait les fameux biscuits LU, a été rachetée par la Ville dans l’idée d’en faire un espace « où la vie côtoie spontanément l’art, dans ses formes les plus contemporaines, voire dérangeantes » avec scène, lieu d’exposition, bar, restaurant, boutiques, ou hammam. L’architecture industrielle a bien entendu été respectée, comme à la Friche La Belle de mai à Marseille, devenue le lieu culturel par excellence de la cité phocéenne entre les murs de l’ancienne manufacture des Tabacs et la fabrique des cigarettes Seita. À Toulouse, l’usine de papiers cigarette Job a rouvert avec son école de musique et sa piscine.

Des centaines d’usines ont ainsi été conservées. Les unes ont transformé l’emploi primaire en emploi tertiaire comme les Grands Moulins de Pantin, qui abritent depuis 2009 une filiale de la banque BNP, ou l’ancienne usine Marie-Brizard de la métropole bordelaise, reconvertie en pépinière pour starts-up du numérique. D’autres sont devenues salles de spectacle comme le Silo du port de Marseille ou l’ancien entrepôt de la Sucrière à Lyon dont les 10 000 m2 accueille expositions, concerts et spectacles.

 

Des sites menacés… Dynamitée par les Allemands en 1917, puis reconstruite avant d’être à nouveau bombardée, la Sucrerie d’Eppeville dans la Somme a été fermée en 2020, un siècle après sa construction dans le style Art déco. C’est un site industriel remarquable, qui comprend outre l’usine, un château où se trouvaient direction et administration, un parc, des logements ouvriers avec cantine et la Cité Germaine, une cité ouvrière avec ses rues et ses jardins. Il y a un an, après la fermeture, son propriétaire entendait raser le site. Il en a été empêché par une forte mobilisation et une mesure de protection d’urgence prise par la ministère de la Culture. Désormais classée monument historique, la Sucrerie attend son projet de rénovation. Art déco également, la salle de brassage de la brasserie de Ville-sur-Illon dans les Vosges avec son vitrail et ses bois sculptés. Un éco-musée occupe une partie du site dont de grands espaces restent à l’abandon. Leur réhabilitation vient d’être retenue par la mission Bern au titre des projets 2023.

 

…et d’autres réhabilités. Dans nombre de cas, ces anciens sites ont fait l’objet de lutte sociale acharnée de la part des salariés et des habitants de quartiers voisins, tous impactés par les fermetures. Des luttes qui ont permis de mobiliser les pouvoirs publics pour la sauvegarde active de sites en déshérence. A Trélazé, un collectif d’habitants s’était mobilisé pour réhabiliter et restaurer la dernière cheminée de la manufacture d’allumettes (1926). La Fondation de France, la Ville de Trélazé, la Direction régionale des affaires culturelles et des mécènes ont demandé à l’artiste Raphaël Zarka de travailler sur ce projet de réhabilitation. La réouverture est prévue fin 2023.

En Occitanie, près de Montpellier, l’usine de Saint-Gély-du-Fesc abritera Pics Studio, ses 8 plateaux de tournage et ses lieux de tournage extérieurs, près de l’ex-usine Schneider Electric à Fabrègues est elle aussi transformée en plateaux de tournage et studios. Les sites devraient être livrés en 2025, pour un budget global de 180 M€. À Meudon (Hauts-de-Seine), le premier hangar à dirigeable du monde construit en 1878 et propriété du ministère de la Culture, rouvrira au public au printemps prochain sous le nom Hangar Y.

Ces réhabilitations nécessitent une coûteuse mise aux normes, mais présentent l’avantage de ne pas artificialiser de nouveaux sols et d’exercer le devoir de mémoire pour des cathédrales du travail à la beauté singulière et emblématiques du savoir-faire d’une ère industrielle révolue.

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