espace abonné Mot de passe oublié ?

Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous

Mot de passe oublié ?
ACCUEIL > Analyse > L’enfant lecteur a cinquante ans

L’enfant lecteur a cinquante ans

par Véronique Giraud
Soeurs et freres © Claude Ponti
Soeurs et freres © Claude Ponti
Livre Littérature de jeunesse Publié le 22/10/2015
La littérature jeunesse n’a pas toujours été un monde foisonnant. En France, avant le milieu des années 60, la lecture était davantage assimilée à un devoir d’apprentissage qu’à un plaisir. S’inspirant de précurseurs anglo-saxons et italiens, et dans le sillage d’auteurs extraordinaires, étrangers ou ayant dû s’exiler pour préserver leur liberté d’invention, les créateurs de la maison d’édition l’école des loisirs ont initié un genre correspondant aux attentes des enfants et une relation inédite avec l’auteur-illustrateur. La maison d’édition fête ses cinquante ans cette année.

Au milieu des années 60, la littérature jeunesse a conquis un très jeune public qui jusque là n’était pas considéré comme lecteur à part entière. Les livres qui lui étaient destinés suivaient la plupart du temps l’exemple de ceux écrits pour les plus grands. Même si les héros avaient leur âge, ils avaient des parents, et leurs aventures étaient encadrées par une structure sociale encore influencée par une morale rigide. En témoignent les livres les plus en vogue à l’époque … Et les manuels scolaires. Car à l’époque, lire c’est du sérieux. En regard de la lecture d’apprentissage, l’art et le plaisir n’avaient que peu de place. La naissance d’une maison d’édition, l’école des loisirs, modifia considérablement la définition même de la littérature jeunesse et, par là même, le statut du livre.

Signe des temps, l’école des loisirs est née au sein même d’une maison très liée au monde enseignant, les Editions de l’Ecole. Celle-ci diffusait des manuels qui n’avaient rien de commun avec la littérature. Mais tout allait changer avec l’arrivée en 1965 de deux jeunes gens de 23 ans. « Un petit rond gascon, Jean Fabre, et un jeune Suisse, Jean Delas, venu faire un stage de typographie pour trois mois chez son oncle, le directeur des éditions de l'école, commente Nathalie Brisac, directrice de communication de la maison d’édition. Pas très emballés par le scolaire, ça ne les amusait pas beaucoup de faire des manuels. Poussés par leur envie de voyager, ils ont demandé à créer un petit département de livres d'images, arguant que visiblement en Italie et aux États-Unis, il y avait plein de choses plus amusantes que ce qu'on proposait à la même époque aux enfants en France. » Et ils ont emporté l’accord.

 

Un petit goût d’ailleurs. Il y avait déjà beaucoup de choses ailleurs. Maurice Sendak, créateur de Max et les maximonstres, avait reçu le prix Andersen en 1960. Aux USA, il y avait déjà une littérature artistique, engagée, impertinente, la Suède avait eu Astrid Lindgren, alors qu'en France, on en était à Père Castor, la Bibliothèque rose, la Comtesse de Ségur... Les livres d'images étaient peu nombreux.

Les deux Jean sont donc partis aux USA découvrir cette littérature et ont été les premiers à éditer en France des auteurs qui avaient un grand succès à l’étranger : Maurice Sendak, Tomi Ungerer (Les trois brigands, 1968…), Lela Mari (Les aventures d’une petite bulle rouge, 1968...), Leo Lionni (Petit-Bleu et Petit-Jaune, 1971…). « Ce n’est pas un hasard si c’est en 1965 qu’ils ont édité Les aventures d'une petite bulle rouge, un poème graphique sans texte. A ce moment, arrivait Françoise Dolto, était créée la Petite Bibliothèque Ronde (autrement appelée bibliothèque des enfants de Clamart), première bibliothèque de livres pour enfants, le CRILJ (Centre de recherche sur la littérature de jeunesse), l’école des loisirs, première maison d’édition littérature jeunesse… « Ça correspondait à ce qui se passait en France. Il y avait un terreau, une sorte de demande sociale était là. L'enfance avait d'un seul coup une autre image » commente Nathalie Brisac. Un an plus tard, était lancé le magazine Pomme d'api pour les enfants de 3 à 7 ans, avec comme devise « C’est bon d’être un enfant ».

 

L’auteur-illustrateur. L’un des principes qui ont fondé la singularité de l’école des loisirs à ses débuts, c’est que la majorité de ses albums sont portés par une seule et même personne, pour le texte et l’image. Un moyen d’atteindre une cohérence que l’enfant perçoit intuitivement. Si l'acte d'achat du livre se fait par un adulte, parent, grand-parent, libraire, enseignant, le livre jeunesse s'adresse aux enfants et à eux seuls. Les dessins sont traversés de multiples questions qui les concernent, la jalousie, la mort, la peur du noir, le besoin d'être aimé, de trouver sa place, en leur donnant le meilleur possible sur le plan artistique et littéraire. La place de l’auteur est donc essentielle. Nathalie Brisach le définit ainsi : « C'est quelqu'un qui ne triche pas, qui parle de ce qu'il ressent, ou de ce qu'il a ressenti. Parce que je crois qu'on écrit toujours sur ce qu'on a perdu, ce qui n'est plus et qu'on voudrait que l'écrit le garde pour toujours. Un auteur s'adresse à l'enfant qu'il a été, à l'enfant qu'il croit être encore, et parle de choses qui le concernent lui-même ».

Partager sur
Fermer