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Mot de passe oublié ?« Oui, les salles de leurs restaurants sont fermées, mais pas leurs cuisines… Vous êtes en train de nous soigner, on va vous faire à manger. A notre tour de prendre soin de vous. » La page d’accueil du site Les chefs avec les soignants est particulièrement explicite. Il s’agit en fait d’une plateforme mettant en relation établissements hospitaliers et chefs de cuisine pour la livraison de repas raffinés aux personnels des hôpitaux, des Ehpad, et autres établissements en première ligne contre la pandémie due au Covid-19. L’opération a été lancée le 17 mars, jour de l’entrée en vigueur des mesures de confinement annoncées la veille par le chef de l’État, suite à la publication sur les réseaux sociaux d’une lettre ouverte du critique culinaire et écrivain Stéphane Méjanès. « Les chef·fe·s ne disparaissent pas derrière leurs portes closes. Si les conditions d’une sécurité sanitaire absolue sont réunies, ils peuvent continuer à empoigner casseroles et poêles, à allumer le feu, découper, ciseler, mixer, rôtir, braiser, faire ce qu’ils font le mieux : cuisiner. Même si on ne les autorise plus à préparer des repas pour leurs clients habituels, beaucoup sont disponibles pour, d'une manière ou d'une autre, faire à manger, pour tous et en particulier pour le personnel soignant », écrit-il.
Une chaîne de solidarité. Le moins que l’on puisse dire est que cet appel a fait mouche. Premier touché, le chef de l’Elysée, Guillaume Gomez. Il était justement en discussion avec l’Assistance publique des hôpitaux de Paris qui gère 39 établissements à Paris et Île de France. Puis, effet boule de neige, toute une chaîne de solidarité s’est développée autour des deux hommes, sur la base du bénévolat, de dons et de services fournis par le marché de Rungis, le groupe Métro et le grossiste Transgourmet pour les ingrédients et, le site de livraison de plateaux repas Tip-toque pour la logistique. La livraison, c’est un jour par semaine, le dimanche jour de fête, avec des menus adaptés, à savoir des plats que l’on peut consommer sur le pouce, debout, nécessitant peu de vaisselle, mais qui sortent de l’ordinaire. Près de 200 restaurants, originaires de toute la France on emboité le pas du chef élyséen, livrant plus de 2500 repas le dimanche.
Méditerranée gourmande. L’initiative n’est pas isolée, loin s’en faut. Dans le Sud de la France, l’association Gourméditerranée présidée par le triplement étoilé du Petit Nice à Marseille Gérald Passédat, réunit plus de 70 chefs représentant la plupart des meilleures tables de Provence, les meilleurs artisans et professionnels des métiers de bouche de la région. Si la vocation de cette alliance créée en 2012 est avant tout la promotion de la cuisine méditerranéenne et de ses produits, ses membres cuisinent aujourd’hui des centaines de repas pour les populations les plus fragiles en ces temps de pandémie : personnes en grande précarité, résidents d’Ehpad ou d‘établissements spécialisés pour les handicapés et bien sûr pour les personnels qui les accompagnent, sans oublier ceux de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille. Ce rayon de soleil qui vient égayer le quotidien de personnes confinées a lui aussi nécessité la mise en œuvre d’une chaîne de solidarité. Elle est venue de Provence tourisme, l’agence de développement du tourisme dans les Bouches-du-Rhône. Elle a mis en relation l’association avec les cantines des collèges du département, leur permettant d’avoir accès aux stocks de nourriture disponibles avant qu’ils soient périmés. Là aussi on retrouve Transgourmet qui a fait don de denrées, les repas étant préparés deux fois par semaine dans une cuisine de cantine.
Les étoilés en première ligne. Les cheffes et chefs les plus médiatisés sont forcément les étoilées et les étoilés : le jeune Guillaume Sanchez du SE/NO à Paris, Nadia Sammut unique étoilée sans gluten de France de l’Auberge La Fénière à Cadenet dans le Vaucluse, et la liste est longue. On y retrouve aussi le chef 2 étoiles Thierry Marx. Déjà très engagé dans des actions à vocation sociale avec des interventions en milieu carcéral, des écoles de cuisine dans plusieurs villes de France pour les jeunes décrocheurs, le maître du Mandarin Oriental et de l’Étoile du Nord à Paris, également adepte du food truck, mobilise chaque jour quelques uns de ses élèves pour confectionner des mets pour les soignants mais aussi pour des habitants de la Seine-Saint-Denis en grande précarité. "Nos écoles sont vides. Rester confiné, c'est déjà un bel effort, c'est utile et difficile. Mais beaucoup choisissent de s'activer pour participer à une bonne cause, à l'effort de guerre", expliquait-il récemment à l'AFP. "J'entends souvent parler d'une jeunesse netflixée, accro aux écrans, le cul vissé dans le canapé et qui mange du surgelé, mais ce n'est pas du tout ça".
Des initiatives dans toute la France. En fait, un peu partout en France, et pas seulement dans les grandes villes, des restaurateurs, traiteurs, pâtissiers, boulangers, qu’ils soient représentatifs de la fine fleur de leur profession ou pas, se manifestent par leur élan de solidarité. A 20 heures les gens applaudissent aux fenêtres et aux balcons, eux c’est à leurs fourneaux qu’ils rendent hommage aux soignants. Alors, on pourrait multiplier les exemples de mobilisation de restaurateurs comme ceux du label Ecotable valorisant les restaurant écoresponsables. Il a réuni une vingtaine de chefs travaillant bénévolement dans un laboratoire à Arcueil dans le Val-de-Marne pour élaborer 500 repas par jour livrés dans une quinzaine d’hôpitaux parisiens. Le CHU François Mitterrand de Dijon en Côte d’or est approvisionné régulièrement par les chefs japonais du département, emmenés par Takashi Kinoshita, une étoile pour sa cuisine au Château de Courban.
Une filière en crise mais solidaire. Quelles que soient les initiatives, elles doivent aussi trouver un point d’équilibre entre bénévolat, dons et besoins de trésorerie. Cette dernière peut provenir de plateformes de financement participatif, de subventions. Mais si les restaurateurs se montrent généreux, ils sont aussi des victimes collatérales de la pandémie. Quand pourront-il rouvrir leurs établissements ? Dans sa présentation de la stratégie de la France pour sortir du confinement, le premier ministre a indiqué que leur cas serait examiné à la fin du mois de mai pour une éventuelle réouverture en juin. Le secteur fait partie des plus impactés par le chômage partiel et le risque de faillites, sans parler de ses fournisseurs en amont, en particulier les filières agricoles et agroalimentaires. Il faudra bien qu’un de ces jours prochains les choses rentrent dans l’ordre. « Le restaurant, c’est le poumon qui fait respirer les villes. Le restaurant, c’est le coeur qui bat dans les campagnes. C’est au restaurant que l’on se nourrit, que l’on partage, que l’on échange, que l’on se rencontre. C’est au restaurant que l’on fait société, que l’on fait civilisation. C’est au restaurant que l’on restaure, au sens premier du terme », écrit Stéphane Méjanès dans sa lettre ouverte avant de conclure : « ne perdons jamais le chemin du restaurant, c’est autour d’une assiette et d’un verre qu’un monde nouveau peut s’inventer ». Jusqu’ici en tout cas, les professionnels de la restauration on mis en pratique une valeur qui bien souvent fait défaut dans ce monde à réinventer : la solidarité.