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Les fictions modestes de la « S » au MIAM

par Véronique Giraud
Joseph Lambert raconte sa vie en couleurs. Il en a fait un livre. © Rivaud NAJA
Joseph Lambert raconte sa vie en couleurs. Il en a fait un livre. © Rivaud NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 21/02/2022
L'exposition " Fictions Modestes & Réalités Augmentées " rend visibles les productions d'artistes déficients mentaux. Fruits de fabuleuses expériences artistiques et humaines nées au sein de la "S", centre d’art atypique des Ardennes belges, leurs œuvres éclairent le bien fondé du MIAM de Sète.

« Nous avons hérité d’une caserne militaire où il y avait pas mal d’espace et nous nous sommes dit pourquoi ne pas inviter des artistes à venir nous voir, travailler avec les nôtres à la "S" » explique Anne Françoise Rouche, fondatrice du centre d'art et commissaire de la nouvelle exposition du MIAM à Sète. Formée au dessin, en particulier à la bande dessinée, elle a découvert, une fois diplômée, le monde du handicap en postulant au poste d’éducatrice dans une association s’occupant de personnes fragilisées par une déficience mentale. Ce qui devait être une expérience temporaire est devenue la raison de vivre de la fondatrice de la « S », association belge installée depuis trente ans en Ardenne belge. Cet émerveillement, cette énergie, ces expérimentations, elle les communique à Sète, amenant dans ce musée singulier les créations d’une quarantaine de personnes que les animateurs du centre encouragent dans leurs démarches et pratiques particulières.

 

La « S » Grand Atelier. Aucune pratique contemporaine n’échappe à la « S » Grand Atelier. Dessins, sculptures, performances, créations textiles, vidéos, jeux numériques, jusqu’à la réalité augmentée et l’impression 3D. Contraints de vivre en marge de la société, les résidents trouvent, grâce à ce centre , le plaisir et l’épanouissement que seul l’acte de créer est capable d’apporter. Des artistes contemporains sont régulièrement invités en résidence pour travailler avec eux, mêlant leur propre pratique, et concourant à faire naître de très belles collaborations.

« Ces collaborations ont commencé en 2007 sous le thème de la narration graphique, explique la directrice de la "S". Je percevais au sein de l’atelier cette envie de raconter, de créer une narration avec des moyens inhabituels. Nous avons invité en résidence des auteurs de bande dessinée italiens, belges et français, sans obligation de résultat. La résidence devait durer deux semaines, finalement ces collaborations de narration graphique continuent aujourd’hui. Cette résidence est fondatrice de la mixité, avec des résultats tout à fait inattendus ». Une vidéo, non dépourvue d’humour, retrace ces collaborations, et documente l’ambiance particulière des ateliers installés dans cette ancienne caserne. Tout près, est accrochée l’affiche du premier livre publié par la "S", qui regroupe ces narrations graphiques. Elle est sérigraphiée par Pakito Bolino, complice de l’aventure.

 

Au fil des connexions. Pour mieux comprendre les enjeux de la « S », il faut remonter le fil des connexions qui éclairent des réalisations qui, si elles peuvent être comparées à d’autres, sont nées dans la souffrance de l’enfermement mental, dans la difficulté ou l'impossibilité à communiquer, et dans un autre espace-temps. Pour les animateurs et les artistes, il s'agit de ne surtout pas dénaturer l’intention des artistes de l’association qui sont hermétiques à toute collaboration, et de respecter leur travail. La section art brut de l'exposition en présente quelques-uns, dont Joseph Lambert qui a décidé de raconter sa vie. « Son livre, qui se présente sous la forme de strates de couleurs, est pour lui une manière d’exprimer ce qu’il est au monde » commente Anne Françoise Rouche. Ce travail très intéressant est conservé dans les grandes collections d’art brut, à Lausanne et ailleurs. Près de lui, l’artiste Eric Dercken a lui aussi été toujours dans sa bulle. « Il est important que ces ateliers restent un refuge pour ces créateurs ».

Invité de la S, l’artiste bruxellois Léopold Joris devenu monteur vidéo, webmaster, est lui très éloigné de l’art brut. Enfant d’une énergie débordante, il remplissait des cahiers d’écriture asémique avant même d’apprendre à lire et écrire. « Ce travail nous a fait penser au travail de Joseph Lambert et d’autres artistes ». Allant toujours au bout de ses entreprises, Léopold Joris a inventé une langue, le liégonnais, avec laquelle il a écrit tout le dictionnaire, mots et définitions. Il a même créé des méthodes d’apprentissage du liégonnais. Il a aussi fabriqué ses propres lanternes magiques, dessinant toutes ses bobines à la main, enregistrant des bruitages, créant ses pochettes de cassettes VHS, jusqu’aux cartes d’adhérents à son ciné-club.

Le cinéma est source de création pour d’autres artistes de ce centre atypique. Réalisée ici avec des moyens modestes et très artisanaux, la tendance est qualifiée de CINEMODESTIE et s’inspire beaucoup de l’art de Mélies. Films d’animation, planches de bande dessinée, affiches de films, perfecto, illustrent la thématique. « On ne se prend pas la tête, on expérimente, on invente, et on réfléchit ensuite en faisant appel à des théoriciens qui assoient nos pratiques » avoue la commissaire.

 

Naissance d'une rencontre. Barbara Massart s’est longtemps révoltée contre son enfermement, refusant d’être associée à des handicapés mentaux. La jeune fille s'est mise à concevoir des cagoules, lui permettant de se dissimuler. Un photographe, venu faire un reportage sur les ateliers de la « S », fut ébloui par ses créations et voulut faire des photos avec elle. Il y avait peu de chance que son souhait aboutisse. Or, pour Barbara, cette démarche du photographe était très importante : c’était la première fois qu’une personne voulait la rencontrer, non pas en raison de son handicap, mais pour sa création. « Ça change complètement la donne. C’est redonner à nos artistes une identité positive, les remettre dans le cercle des humains », commente Anne Françoise Rouche. Du coup Barbara a décidé de faire des photographies et d’être photographiée. Quelque temps après, ils ont annoncé qu’ils voulaient tourner un film. Deux films ont été réalisés et, un jour, une jeune étudiante en stylisme d’Anvers a contacté l’association après avoir des photos de Barbara. Elle lui a proposé d’être son assistante pour son examen de fin de master. Elles ont travaillé ensemble avec succès. Aujourd’hui Barbara est à l’origine de performances autour de ses créations.

Une fois encore, le MIAM défriche pour le public un territoire méconnu de la création contemporaine. Contribuant à rendre visibles des artistes et des démarches d’une grande humanité. Après avoir fêté ses 20 ans d’existence, le musée sétois fondé par Hervé Di Rosa entame une nouvelle ère d’expérimentation avec cette exposition Fictions modestes & Réalités augmentées.

 

Fictions modestes & Réalités augmentées, au MIAM, Musée International des Arts Modestes, 23 quai Maréchal de Lattre de Tassigny, Sète.

La « S » Grand Atelier est une équipe de dix intervenants qui accompagnent une quarantaine d’artistes. Des artistes contemporains viennent régulièrement en résidence et des collaborateurs venus d’ailleurs sont très impliqués dans la vie de la « S ». Tous comprennent les enjeux de reconnaissance des artistes, avec beaucoup de respect.

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