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Les mystérieuses et flamboyantes explosions de couleurs de Sally Gabori

par Pierre Magnetto
Sally Gabori a commencé à peindre à l'âge de 80 ans. © Inge Cooper
Sally Gabori a commencé à peindre à l'âge de 80 ans. © Inge Cooper
Exhibition Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori presented at the Fondation Cartier - Paris – 2022 © Photo Thibaut Voisin
Exhibition Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori presented at the Fondation Cartier - Paris – 2022 © Photo Thibaut Voisin
Oeuvres collectives, Exhibition Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori presented at the Fondation Cartier - Paris – 2022 © Photo Thibaut Voisin
Oeuvres collectives, Exhibition Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori presented at the Fondation Cartier - Paris – 2022 © Photo Thibaut Voisin
Oeuvres de Sally Gabori. © Naja
Oeuvres de Sally Gabori. © Naja
Nyinyilki, 2010, Tableau de Sally Gabory. © Naja
Nyinyilki, 2010, Tableau de Sally Gabory. © Naja
Arts visuels Arts plastiques Publié le 12/08/2022
La peintre, disparue en 2015, a commencé à peindre à l’âge de 80 ans dans un atelier de peinture en maison de retraite. Dépourvue de toute culture écrite ou graphique cette artiste aborigène a inventé un langage pictural déroutant, haut en couleur et chargé d’émotions. Elle est considérée comme une des plus grandes artistes contemporaines d’Australie. La Fondation Cartier pour l’art contemporain lui consacre une exposition.

Malgré une renommée mondiale déjà acquise, c’est la première fois que des tableaux de Sally Gabori bénéficient d’une telle exposition en France. Les trente toiles présentées ne constituent qu’une infime partie des plus de 2 000 oeuvres que l’artiste a produites en moins de 10 ans. Des œuvres marquées par une explosion de couleurs vives, dont on pourrait croire au premier abord qu’elles s’inscrivent dans la filiation de l’abstraction, voire de l’abstraction lyrique, mais il n’en est rien. Les clefs de compréhension de la peinture de Sally Gabori ne sont accessibles que si l’on prend le temps de s’intéresser à son histoire personnelle, à celle de son peuple, au territoire qui l’a vue naître. L’artiste est née vers 1925 sur la petite île de Bentinck, au Nord de l’Australie. Son vrai nom, Mirdidingkingathi Juwarnta, est composé selon la tradition du peuple kaiardilt occupant l’ilôt, de son lieu de naissance sur l’île suivi par celui de son animal totem, le dauphin.

Les luttes des aborigènes pour la reconnaissance de leurs droits. En 1948 la vie sur l’île était devenue impossible, un raz-de-marée ayant noyé les sources d’eau douce insulaires. Un à un, les membres de la tribu aborigène durent abandonner leur terre natale, contraints de rejoindre un camp de missionnaires presbytériens sur une île voisine, se faisant fort d’assimiler et de christianiser les peuples indigènes. A partir de cette époque, la vie de Sally se confond avec l’histoire des luttes des peuples aborigènes pour la reconnaissance de leur identité, de leur culture et de leurs droits territoriaux. Elle va se marier et aura onze enfants. Ce n‘est qu’à partir des années 1960 que Sally et son mari purent retourner faire de brefs séjours à Bentinck, dans le cadre d’expéditions organisées par un anthropologue voulant recueillir des données sur les traditions culturelles des kaiardilt.

Premier contact avec la peinture. En 2005, elle a alors environ 80 ans, Sally vit en maison de retraite. Elle participe à un atelier de peinture. C’est la première fois qu’elle peint mais à peine six mois plus tard, elle réalise sa première exposition individuelle entraînant avec elle d’autres femmes kaiardilt qui se lancent elles aussi dans la peinture. Il en résultera des œuvres collectives dont quelques unes sont exposées à la Fondation Cartier. Dès le départ son travail impressionne et les expositions vont s’enchainer. Elle recevra une commande publique de la Cour suprême du Queensland (état australien), de l’aéroport international de Brisbane. L’artiste accumulera des prix prestigieux et sera même invitée à présenter son travail dans le cadre de 55e Biennale de Venise en 2013, et à New York.

Un langage pictural inédit. « Comparée aux autres formes de peinture aborigène, son œuvre constitue un véritable phénomène visuel avec une diversité de textures sans précédents », explique Judith Ryan, conservatrice et spécialiste de l’art aborigène. Chez les kaiardilt, il n’existe pas de peinture coutumière sur quelque support que ce soit, aucune représentation graphique, la culture et sa transmission sont exclusivement orales. Sally Gabori peint de manière spontanée avec de l’acrylique, utilisant des couleurs primaires. Ses œuvres, en apparence abstraites, se réfèrent à des éléments résolument concrets : la topographie des principaux lieux de l’île, la pêche qui constituait la ressource principale de son peuple, le climat et les phénomènes météorologiques, le mouvement de la mer, sa propre vie avec la mort de son mari… Sally Gabori invente son propre langage pictural.

Sally parlait peu de la signification de son travail. Le décryptage de cette expression artistique aborigène unique, on le doit en partie à Nicholas Evans, anthropologue et linguiste australien spécialiste des langues aborigènes qui a travaillé sur leur conservation à partir d’enregistrements. Sally qui avait refusé toute tentative d’assimilation ne parlait que ça langue maternelle. « Il existe une autre façon d’explorer les mystères de la créativité artistique de Sally Gabori : à travers les indices que renferme cette langue kayardilt qui l’aura bercée de sa naissance à sa mort », avance-t-il. La peintre parlait peu, se contentant de nommer un lieu, un phénomène, un moment pour décrire ses œuvres quand le scientifique l’interrogeait sur la signification de son travail.

« Ma terre, ma mer, celle que je suis ». Pour analyser l’œuvre de Sally Gabori il aura fallu le travail d’un anthropologue, d’experts des arts aborigènes et de l’art contemporain. Mais leur interprétation est-elle assurée ? Une part de mystère demeure quant au cheminement intérieur parcouru par l’artiste pour représenter tant de lieux, de souvenirs, de moments de vie en une explosion de couleurs suscitant une émotion qui au fond, se passe bien de toute explication. La peintre en donnait une : « voici ma terre, ma mer, celle que je suis ». On s’en contentera.

  • Mirdidingkingathi Juwarnta, Sally Gabori, jusqu'au 6 novembre, Fondation Cartier pour l'art contemporain, 261 Bd Raspail, 75014 Paris

La Fondation Cartier pour l’art contemporain a dédié un site à l’œuvre de Mirdidingkingathi Juwarnta dite Sally Gabori

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