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Les polars à tiroir de Bruno Carpentier

par Pierre Magnetto
« Mes romans sont l’expression de ma façon d’observer le monde dans lequel on vit et de porter un avis dessus ». © Naja
« Mes romans sont l’expression de ma façon d’observer le monde dans lequel on vit et de porter un avis dessus ». © Naja
Un tableau blanc façon detective board pour planifier les différentes étapes de l’écriture du prochain roman. ©. Naja
Un tableau blanc façon detective board pour planifier les différentes étapes de l’écriture du prochain roman. ©. Naja
Bruno Carpentier et sa vitrine, condensé de sa vie de légionnaire. © Naja
Bruno Carpentier et sa vitrine, condensé de sa vie de légionnaire. © Naja
Livre Roman Publié le 05/07/2025
L’écrivain qui a donné naissance à Ana Boyer, son enquêtrice cheffe de la division Homicides de la section de recherche de la Gendarmerie nationale à Marseille, a un parcours tout aussi atypique que son héroïne même si tous les oppose. Une sorte d’alter ego inversé qui permet à l’auteur, au travers de romans policiers d’aborder avec humanisme des thèmes de société parmi les plus dramatiques.

Ana Boyer, la commandante de la division Homicides de la section de recherche de la Gendarmerie Nationale à Marseille a récemment ouvert un compte sur Facebook. Elle informe ses followers sur le cheminement de ses enquêtes, les invitant même parfois à explorer les diverses options qui s’offrent à elle. Pas sûr que sa hiérarchie ne voit ça d’un bon œil mais tous le savent, malgré son caractère bien trempé, son côté border line à la vie -comment une quadra mère de deux ados s’est-elle fait retirer la garde de ses enfants ? - comme à la scène – comment une officière de gendarmerie qui a tendance à s’asseoir sur les ordres de ses supérieurs s’est-elle retrouvée au poste qu’elle occupe ? - Ana Boyer est avant tout une redoutable enquêtrice, dotée d’une intuition qui relève presque d’un sixième sens et d’une opiniâtreté qui frôle l’entêtement. A vrai dire, personne au pays de la grande muette ne fera jamais de remontrance à Ana Boyer, tout simplement parce qu’Ana Boyer n’existe nulle par ailleurs que dans l’imaginaire de son géniteur, l’écrivain Bruno Carpentier qui lui donne vie dans ses romans publiés aux éditions The Melmac Cat* et dont la troisième aventure, qui sera un préquel apportant des réponses à certaines questions que se posent les lecteurs quant à ce personnage hors normes, est en cours d’écriture.

Comme dans un jeu de miroir à la Borges. Personnage atypique, Bruno Carpentier l’est tout autant que son héroïne, mais dans un autre registre. Au côté hors les clous d’Ana répond le caractère rigoureux de l’auteur, à celui fantasque de la gendarmette, le strict respect des règles et de l’étiquette de l’écrivain. Les deux se regardent face-à-face, dans un jeu de miroir inversé qu’on pourrait croire tout droit sorti d’une nouvelle de Jorge Luis Borges, un des maîtres de Bruno Carpentier en littérature. « En 1933 Borges a publié Les lois de la narration policière, 20 règles dont la dernière, comme une démonstration par l’absurde, invite à savoir transgresser les 19 précédentes », s’amuse-t-il, rappelant sur son blog que l’argentin considérait le genre policier « comme le plus digne héritier de la littérature classique ».

Legio Patria Nostra toujours. Atypique, l’écrivain qui vit à Cadolive, village au cœur de l’ancien bassin minier de Gardanne entre Marseille et Aix-en-Provence, l’est aussi de par son parcours. C’est d’abord celui d’une enfance ballotée par une histoire familiale douloureuse, entre Belgique, pays où il est né et France, pays de sa nationalité, dans la région transfrontalière du Hainaut. Bon élève, Bruno Carpentier fera cinq années de droit mais une fois sa maîtrise en poche (l’équivalent d’un master 2 aujourd’hui), le jeune diplômé décide de tout plaquer, de troquer la robe pour le sabre et faire son service militaire, avant de s’engager et 6 ans plus tard de passer le concours d’officier d’infanterie. Reçu en 1992, il choisit pour affectation la Légion étrangère « parce que, dit-il, j’avais envie de vivre quelque chose de fort, attiré par l’opérationnel et par la dimension humaine de cette armée synonyme de cohésion, de respect mutuel et de solidarité ». En 2013, le lieutenant-colonel Carpentier démissionne parce que l’âge et le grade l’éloignaient des opérations et qu’il allait être muté à l’état-major. Mais toujours demeure en lui les devises « Honneur et fidélité » est surtout, « Legio Patria Nostra » (la légion est notre patrie) car on ne quitte jamais vraiment la légion. Réserviste, l’écrivain est engagé dans les œuvres sociales de son corps d’armée, dans l’administration du musée de la Légion étrangère, et met sa plume au service notamment du magazine Képi Blanc. Et bien sûr, il fait partie de l’amicale des anciens légionnaires de son département.

Un processus d’écriture précoce. Et l’écriture dans tout ça ? « En fait ça m’a pris très tôt », confie-t-il se souvenant des petites histoires qu’il écrivait, « alors que je savais tout juste manier un stylo ». Il se souvient aussi de ce manuscrit au titre prémonitoire, « Ma vie est un combat », écrit à 14 ans. Bruno est aussi attiré par la poésie, cela lui vaudra de recevoir en 2000 des mains de Pierre Messmer, ancien homme politique qui fut entre-autre ministre des armées du général de Gaulle et académicien, le prix de la poésie décerner par l’Académie française. Bruno Carpentier est aussi l’auteur de nombreuses monographies sur des thèmes liés aux pays dans lesquels il a été en opération ou sur les régions où il a vécu.

Des polars à pistes multiples. En 2013 il oriente son travail d’écriture sur la littérature policière avec Le boucher de Saint-Aybert (éditions Italiques), suivi en 2020 par La crypte de Saint-Maximin avant que n’apparaisse pour la première fois Ana Boyer dans La source bleue (ed The Melmac Cat). Ses polars présentent des invariants. Ils sont reliés à des mythes et légendes locales, à des symboles religieux (croyances et cultes celtiques dans La source bleue, pictogrammes en relation avec la passion du Christ dans Arma Christi), qui engagent l’enquêtrice et ses troupes, et le lecteur dans le même mouvement, sur une fausse piste avant que la détective en chef ne découvre les véritables  motifs des crimes sur lesquels elle enquête, une vaste opération immobilière sur fond de corruption, lle drame des migrants et les trafics d’organes). D’autres thèmes traversent ces deux premiers opus, la place des femmes, la protection de l’environnement par exemple, tandis qu’Ana déroule le fil rouge et dévoile progressivement sa vie personnelle tumultueuse au lecteur.

Ce que la société contemporaine doit à ceux qui l’ont précédé. Quant à l’enquête, elle se présente aussi comme une immersion très rigoureuse dans le fonctionnement des unités de la Gendarmerie nationale, « parce que c’est comme ça que ça marche et que la liberté d’auteur que je donne à mon récit passe par Ana ». « Les récits de Bruno sont empreints de la rigueur militaire de leur auteur et de l’envie de donner du plaisir à lire. Ils témoignent de l’attention qu’il porte à ses lecteurs et de l’humanité qui l’habite », témoigne son éditeur, Patrick Coulomb. « Mes romans ne sont pas juste des divertissements même si je revendique cette fonction. Ils sont aussi l’expression de ma façon d’observer le monde dans lequel on vit et de porter un avis dessus », ajoute l’auteur qui cite ici Jean-Patrick Manchette, son autre maître en littérature. « Le recours aux mythes et légendes, c’est aussi une manière de faire le lien entre les époques, de remettre les choses à leur place. Quand j’entends dire encore aujourd’hui que la France est la fille aînée de l’église c’est oublier un peu vite tout ce que les fêtes chrétiennes ont emprunté aux cultes anciens ». D’ailleurs, le prénom de la cheffe de la division Homicides n’a pas été choisi au hasard, il s’agit de l’évocation d’Annan ou Anna, déesse celtique de l’Irlande préchrétienne. Et la boucle est bouclée.

 

 

La source bleue, Bruno Carpentier, éditions The Melmac Cat, 2023

Arma Christi, Brun Carpentier, éditions The Melmac Cat, 2025

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