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Les terribles beautés de Marlene Dumas

par Véronique Giraud
L'œuvre de Marlene Dumas est exposée à la Tate Modern de Londres. ©Giraud/Naja
L'œuvre de Marlene Dumas est exposée à la Tate Modern de Londres. ©Giraud/Naja
Arts visuels Arts plastiques Publié le 21/03/2015
Marlene Dumas est une immense artiste, trop rare en France. C'est à Londres qu'il faut se rendre pour découvrir l'exposition que lui consacre la Tate Modern jusqu’au 10 mai 2015. Cette rétrospective de ses vingt ans de création (1994-2014), la plus grande jamais organisée en Europe, mérite la visite.

Au premier étage de la Tate Modern, dès l’entrée de l'exposition, le visiteur doit faire face à quarante-huit portraits de même format. Il faut un moment pour que l’œil s’imprègne de ce qu’il voit. Une halte nécessaire qui déterminera le degré de proximité avec ce qui va suivre. Les visages occupent presque entièrement le format de la feuille de papier. Peu de sourires, des yeux souvent vides ou fermés, une impression inquiétante. Emergeant de coulures évasives d’encre noire mêlées au crayon, chaque portrait produit pourtant une expression très précise, celle d’une femme, d’un homme, d’un enfant, d’un noir, d’un blanc, connu ou anonyme. Qui sont ces gens ? Pourquoi les rassembler ? Cette série, réalisée en 1994, est intitulée Rejects. Qui est rejeté ? On sait que Marlene Dumas est née en Afrique du Sud. S'agit-il d'êtres rejetés en raison de leur couleur, de leur race, de leur différence ?

L’exposition se poursuit, égrenant ses portraits et ses corps, souvent nus. Pour ses compositions, Dumas ne s’inspire pas de ce qui l’entoure mais collecte depuis plus de vingt ans des photographies de journaux et de magazines, des œuvres d’art connues, et y puise sa dramaturgie singulière et mystérieuse.

C'est le cas pour The image as burden. Devenu le titre de cette rétrospective, ce fut d'abord celui d’une peinture réalisée en 1993. On y voit, émergeant d’un fond noir, un homme portant le corps d’une femme, morte peut-être. Les yeux de l’homme ne quittent pas le visage bleu inanimé, la main qui porte le corps blanc est noire. Pour cette œuvre, Marlene Dumas explique s'être inspirée de l'image d'un film de John Cukor où l’on voit Robert Taylor porter Greta Garbo évanouie. L’image comme un fardeau est symptomatique du travail de cette artiste qui dessine inlassablement des portraits avec l’idée que "l’art n’est pas un miroir". Visages et scènes évoquent toujours clairement leur source iconographique. Mais lorsque Marlene Dumas s'en empare, elle les charge d’une magie qui effraie et décontenance. Si la référence à l’image facilite le dialogue avec celui qui regarde, le regard est troublé par l’intensité de ce que l’artiste fait de ces images

 

Une tension exacerbée. Connus ou anonymes, souvent en très gros plan, isolés ou en groupe, ces portraits véhiculent bien des maux de la vie que nous nous appliquons à rejeter. Parmi les visages célèbres, on reconnaît Naomi Campbell, la princesse Diana, Amy Winehouse, Osama ben Laden… d’autres sont anonymes, noirs, blancs, enfants, hommes, femmes. Tous ont en commun de nous déranger, malgré la saisissante beauté de la composition, l’extrême douceur des teintes. « Il n’y a pas de beauté si cela ne montre pas aussi les terribles choses de la vie », affirmait Marlene Dumas à la Biennale de Lyon Une terrible beauté est née dont elle était l’invitée en 2011.

Avec une étonnante économie de moyens et, souvent, le titre de l’œuvre, pas d'échappatoire possible. Chaque visage, chaque corps, chaque scène, confronte le spectateur à l’Histoire et à son histoire, à ses frayeurs, ses hontes, ses fantasmes. Marlene Dumas exprime la sexualité, entre pornographie et érotisme, la mort, souvent violente, l’humiliation, sans tabou. Les scènes reproduites sont aisément identifiables, elles ont été vues et revues dans la presse, sur les écrans. Mais lorsque l’artiste s’en empare, naît alors une autre émotion, intime celle-là. On n’en sort pas indemne.

 

Née en 1953 en Afrique du Sud, Marlene Dumas est partie étudier aux Ateliers ‘63 à Haarlem en 1976, et elle est restée aux Pays-Bas. Elle vit et travaille à Amsterdam. Très présente dans les galeries et musées du monde, elle est la femme peintre la plus cotée du marché de l’art. 

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