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« L’oiseau bariolé », jeune proie de la cruauté humaine

par Stoyana Gougovska
Petr Kotlàr dans le premier rôle de cinéma de sa vie
Petr Kotlàr dans le premier rôle de cinéma de sa vie
Le réalisateur Vàclav Marhoul en compagnie de son jeune acteur Petr Kotlàr à la Mostra di Cinema de Venise Credits La Biennale di Venezia
Le réalisateur Vàclav Marhoul en compagnie de son jeune acteur Petr Kotlàr à la Mostra di Cinema de Venise Credits La Biennale di Venezia
Barry Pepper dans le rôle d'un soldat de l'Armée Rouge
Barry Pepper dans le rôle d'un soldat de l'Armée Rouge
Cinéma Film Publié le 09/09/2019

Le public, nombreux à remplir les salles de la 76ème Mostra de Venise, a pu découvrir en première mondiale "L’oiseau bariolé", le dernier film de Vàclav Marhoul. Basé sur un roman controversé de Jerzy Kosiński, le réalisateur thcèque a travaillé pendant onze ans sur le terrifiant destin d’un enfant juif persécuté, dénonçant la cruauté humaine extrême.

 

Quand on peint les ailes d’un oiseau et on le relâche pour qu’il rejoigne sa nuée, ses congénères ne le reconnaissent pas et l’attaquent jusqu’à ce qu’il tombe mort. C’est une des scènes clés dans l’Oiseau Bariolé, le nouveau film de Vàclav Marhoul (Torbuk, 2008). À travers un drame de la période de l’Holocauste, le cinéaste tchèque nourrit des réflexions universelles sur la haine et l’ignorance qui font ressortir le pire de l’être humain.

L’histoire suit le chemin d’un jeune garçon que ses parents juifs persécutés ont abandonné chez une vielle tante, quelque part en Europe de l’Est. La vieille femme décède subitement et il part seul, de village en village, de ferme en ferme, pour rentrer « chez lui », un endroit chaleureux et sûr qui n’existe pas. Dans sa lutte pour survivre, l’enfant découvre la brutalité extraordinaire de paysans ignorants et primitifs, devient le témoin de monstruosités et subit des violences inimaginables. Le film est divisé en neuf chapitres, chacun portant le nom d’un des personnages que le garçon croise sur son chemin. Ces rencontres vont petit à petit dévoiler à l’enfant la réalité de cette guerre et les raisons obscures de l’agressivité qu’il subit de la part des humains, leur manque total de valeurs morales. Lui, qui ne connait ni son âge ni son prénom va inévitablement changer, se méfiant des gens autant qu’il donnera tout son amour aux animaux.

 

Un sujet tristement universel. « Quand j'ai commencé le travail sur ce film il y a onze ans, je ne pensais pas que cette histoire que je trouve universelle se développerait et deviendrait urgente. Qu'une crise allait avoir lieu en Europe et que de jeunes enfants de Libye, de Syrie ou d'Afghanistan tenteraient les mêmes choses que mon personnage. » raconte le réalisateur Vàclav Marhoul à Venise.

Le personnage principal est interprété par Petr Kotlàr. Il n'était pas acteur, mais un enfant ordinaire de neuf ans que Vàclav Marhoul a rencontré par hasard dans la ville de Český Krumlov. Autour de lui, le réalisateur a réunit un casting impressionnant d’acteurs mondialement confirmés : Stellan Skarsgaard (Good Will Hounting de Gus Van Sant, L’Amour est un pouvoir secret de Lars Von Trier), Harvey Keitel (Taxi Driver de Martin Scorsese, Reservoir Dogs et Pulp Fiction de Quentin Tarantino entre autres), Udo Kier (DogvilleMelancholia et Nymphomaniac de Lars Von Trier), Julian Sands (plus de 120 films, dont Boxing Helena de Jeniffer Chambers Lynch et Leaving Las Vegas de Marc Figgis), Barry Pepper (Il faut sauver le soldat Ryan de Steven Spielberg et La ligne verte de Frank Darabont).

 

Ramener l’amour parce qu'il manque. L'Oiseau bariolé est à la base un roman américain de Jerzy Kosinski, écrivain juif polonais installé depuis 1957 aux États-Unis, publié en 1965. « Tous mes films sont basés sur des livres. Quand j’ai lu L’oiseau bariolé, j’ai ressenti avec mon cœur que je devais en faire un film. » explique Marhoul. « On va croire que je suis fou car, à la lecture, beaucoup sont choqués par les descriptions de violence et de brutalité. Je ne suis pas d’accord. La violence et la brutalité ne sont que le cadre du tableau. Le tableau c’est mon personnage principal, ce qu’il affronte, comment il se bat pour sa dignité. Pour moi, il s’agit d’amour, de bonté et d'humanité, justement parce qu’ils en manquent. » 

 

Rendre l'histoire vraie. L’adaptation de Marhoul donne un film méticuleux, tourné en noir et blanc et en pellicule de 35mm. Le réalisateur explique ses choix esthétiques : « Pourquoi noir et blanc ? Parce que mon ambition était de rendre l’histoire vraie. Un film, ça reste de la fiction, c’est évident, mais j’étais soucieux de raconter l’histoire de manière crédible. Le public doit croire que cela peut vraiment arriver. Filmer en couleurs aurait été une catastrophe, ça aurait eu l’air faux et commercial. » Et poursuit : « La pellicule de 35mm est plus authentique pour un film comme L’oiseau bariolé, tourné en noir et blanc précisément pour renforcer la ligne narrative. Elle donne quelque chose de spécial au film, que je ressens avec mon cœur.» Marhoul ajoute en souriant: « Je suis un réalisateur de 59 ans, j’aime le cinéma et j’aime la pellicule de 35mm, pas la caméra numérique. » Il est vrai que le talent artistique et la précision du directeur de la photographie de L'oiseau Bariolé, Vladimir Smutny (primé à de nombreuses reprises, notamment d’un Oscar pour Kolya, meilleur film étranger en 1996), donnent sa force expressive au film. Vàclav Marhoul et Vladimir Smutny ont déjà collaboré pour Torbuk, film distingué en 2008 par le prix de l’Association des Cameraman Tchèques.

 

L’importance de l’amour. Le souci de crédibilité est atteint, la mise en scène ne laisse aucun échappatoire aux images de cruauté dérangeantes, sans pour autant spéculer sur des effets qui augmenteraient artificiellement l’intensité de la violence. « En tant qu’artistes, on a deux façons de montrer l’importance de l’amour. La première, c’est un film classique, un beau jardin, le ciel bleu et bien sûr une fin heureuse, cela marche toujours. La deuxième façon est de ramener l’amour, parce qu’il manque, parce que vous essayez de le trouver, car vous en avez vraiment besoin. Je veux dire que la lumière se voit que dans le noir. Et qu’on peut vraiment apprécier le fait qu’on vit en paix, que ce n’est pas la guerre. C’est ça l’histoire de L’oiseau bariolé. » affirme le réalisateur.

 

Un roman controversé par un mensonge. Mises à part quelques phrases en russe et en allemand, la langue dominante dans le film est l’Esperanto slave, une langue inventée. Ce choix n’a pas été fait par hasard : le livre est toujours très controversé, spécialement en Pologne car l’auteur, Jerzy Kosinski, a affirmé en 1965 que L’Oiseau bariolé est un ouvrage autobiographique. C'est un mensonge. En vérité, Kosinski a passé son enfance auprès de ses parents, parmi des villageois polonais qui n’avaient manifestement pas l’habitude de persécuter les juifs, ni les dénoncer aux soldats allemands, comme cela arrive au personnage du roman. Dans le roman original, ni l'endroit ni la langue sont spécifiés, pourtant en Pologne nombreux sont ceux pensent qu'il s'agit d'eux dans l'histoire. Le réalisateur commente : « Kosinski a commis une erreur durant son vivant, cela le concerne personnellement. J’ai simplement choisi de traiter le livre comme ce qu’il est : une œuvre indépendante, un chef d’œuvre au-delà du temps. » Pour cette raison, le choix de la langue a été important : « Je voulais qu’aucune nation, Pologne, Ukraine, peu importe laquelle, soit associée à ces villageois. » Le langage est secondaire, L’oiseau bariolé comporte très peu de dialogues : seulement 9 minutes sur les 2h49 du film. Toute forme de pathos est absolument bannie par l’équipe créative et les acteurs, pourtant les émotions sont transmises sans compromis : « Nous sommes des cinéastes, nous racontons l’histoire avec l’image et le son, sans avoir besoin des mots, et j’aime beaucoup ça. Pour moi c’est ça l’essence du cinéma, » conclut avec passion Vàclav Marhoul.

 

 

L’Oiseau Bariolé (Vàclav Marhoul,2019) fait partie de la Selection Officielle du 76ème Festival International de Cinéma de Venise, La Mostra di Cinema. Prochainement en salle.

 

 

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