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Luc Jennepin,  » Donner une image de dignité aux Chibanis « 

par Véronique Giraud
CHIBANIS LA QUESTION ©Luc Jennepin
CHIBANIS LA QUESTION ©Luc Jennepin
CHIBANIS LA QUESTION ©Luc Jennepin
CHIBANIS LA QUESTION ©Luc Jennepin
Escale de l'exposition
Escale de l'exposition "Chibanis la question" à l'école d'art de Bayonne en avril 2015 © Luc Jennepin
Escale de l'exposition
Escale de l'exposition "Chibanis la question" à Bayonne en avril 2015 © Luc Jennepin
Le photographe Luc Jennepin © Sophie Pourquié
Le photographe Luc Jennepin © Sophie Pourquié
Arts visuels Photographie Publié le 10/12/2013

Que signifie Chibani ?

Le vieux, le sage, celui qui a les cheveux blancs. On les appelle aussi les invisibles, comme le montre la magnifique pièce éponyme de Nasser Djemaï.

 

Comment est née l’idée de ce projet d’exposition ?
Parmi mes multiples activités de photographe, je travaille pour Uni’sons à l’origine d’Ara- besques, rare festival des arts du monde arabe. L’association a initié un projet pédagogique* en 2012-2013 avec une classe de collégiens d’un quartier populaire, partis à la rencontre des Chibanis pour mieux connaître cet aspect de l’histoire de l’immigration. Je les ai donc suivis en reportage et lorsqu’ils sont arrivés dans les foyers Adoma (anciens Sonacotra) où vivent les Chibanis pour leur poser leurs questions, cela m’a sauté à la figure. Je suis né moi-même en Algérie. Ces jeunes travailleurs qu’on a fait venir en France sont devenus vieux. Ils ne sont pas devenus Français, ils sont donc restés travailleurs immigrés et ont du s’accommoder des dispositions des gouvernements français pour assurer leurs prestations sociales (8 mois en France et au moins 4 mois au bled actuellement). Ces personnes, très âgées aujourd’hui, m’ont beaucoup touché.

 

Comment les avez-vous photographiés ?
Une telle émotion, je ne l’ai pas eue souvent dans ma vie. Ces personnes pour moi sont dignes et vivent dans un milieu indigne. Ce sont des gens qui ont fait nos routes, notre vin... On est allé les chercher dans les trente glorieuses. On les a triés à l’époque, comme on a fait pour les esclaves. J’ai fait des photos de Césaire et j’ai pensé à lui en les voyant. Je suis photographe, j’ai voulu donner une image de dignité à ces gens-là. Donc j’ai pris mon plus bel appareil, un Hasselblad, et j’ai fait « Donner une image de dignité aux Chinais », une première série de photos d’une vingtaine de Chibanis.

 

Un choix esthétique affirmé pour vos clichés…
Je voulais faire une photo sur la dignité. J’ai réfléchi à la manière de transposer artistiquement cette image. Je les ai pris en buste. Je voulais qu’on voie leurs mains de travailleurs. Regards et mains sont importants. Et je me suis dit que pour faire une belle photo, digne de ces gens, il me fallait un trône. J’ai choisi une chaise du designer Verner Panton, qui a signé la première chaise moulée dans les années où ces personnes sont venues du Maghreb travailler en France. Je l’ai choisie noire, ainsi, quand ils s’assoient dessus, la chaise disparaît. Je les fais visibles eux, pas la chaise. J’ai fait une boîte à lumière, simple. La lumière venant d’en haut, cela donne une image d’icône. Puis, je suis allé leur offrir à chacun un tirage. Je ne mets pas leurs noms, je ne veux pas faire un cimetière. Il y en a déjà qui sont morts depuis que j’ai fait ces photos, je ne veux pas être dans le pathos.

Des gens vont les reconnaître, les autres ne les connaîtront pas. À l’exposition, un avocat a éclaté en sanglots en voyant la photo d’une femme, il a reconnu celle qui s’est occupée de lui pendant toute son enfance.

 

Pourquoi ce titre « Chibanis la question»?

L’exposition a été inaugurée à Montpellier trente ans après la marche des beurs, c’est un hasard. Mais elle pose elle aussi la question du droit. Pour les Chibanis, le droit de rentrer chez eux ou de rester en France, mais qu’ils trouvent enfin la paix. En regardant ces dix portraits, huit hommes et deux femmes, sur roll-up de 85cm par 2m, le spectateur se pose la question. Pas la même, mais l’exposition interroge. Je n’ai pas la réponse. J’ai décidé de faire une exposition itinérante. À Toulouse début 2014, enrichie de photos de 20 Chibanis toulousains, puis à Lyon, Grenoble... Avec, à chaque étape, d’autres portraits de Chibanis. Et dans deux ans à Paris, à l’Institut du Monde arabe ou au musée de l’Histoire de l’immigration. Tout ce chemin fera l’objet d’un livre auquel seront associés tous les participants à l’aventure, des musiciens (comme le compositeur Louis Sclavis ou Magyd Cherfi du groupe Zebda), des écrivains, poètes, philosophes...

*Le projet pédagogique « Nos grands-pères les Chibanis » a été lauréat du Prix de l’audace artistique et culturelle du Ministère de l’Éducation nationale et de la Culture.

 

Luc Jennepin est né en 1970 à Alger de parents professeurs. Il a été photographe de plateau, a collaboré avec les Beaux-Arts et la Villa Médicis, mais également avec des institutions et des entreprises (Festival de Radio-France, Mutuelle des motards, Banque populaire...). Sa passion c’est l’humain. Il aime montrer le chemin qu’ont parcouru les gens.

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