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Mot de passe oublié ?Vous faites le tour des théâtres dans le monde, comment percevez-vous l’art vivant aujourd’hui ?
J’observe que les salles de spectacle sont de plus en plus fréquentées, les gens se déplacent pour voir des choses nouvelles. J’étais il y a quelques mois à Buenos Aires, toutes les salles où je suis allée étaient combles, il y avait des files d’attente. Certes, les salles y sont petites, pas plus de cent places, il s’agit plutôt de salles d’art et d’essai, dans des maisons parfois. Mais il y a un monde fou. En Russie où je me rends souvent, le nombre des spectateurs est incroyable.
En 2005, la polémique a traversé le festival d’Avignon, suscitée par la création de Jan Fabre, elle opposait texte et spectacle, et cette année de nouveau avec le Papperlappap de Mathalter.
Le fait qu’il y ait des polémiques rend plutôt vivant et intéressant le théâtre. Bien sûr, on peut discuter de la créativité d’un spectacle, on peut critiquer son intérêt. Au festival d’Automne, nous nous plaçons dans une vision internationale du théâtre. Nous avons dès 1995 programmé Christoph Marthaler avec ses écrits, c’est un artiste qui compte. Nous avons aidé à produire Murx à la Maison des Arts de Créteil. Avec Papperlappap en 2010, il s’agit d’un projet co-écrit avec des dramaturges, destiné à être donné dans la mythique Cour d’Honneur du Palais des Papes, pour lequel l’auteur prend le maximum de risques, autant dans l’inventivité que dans la technique. Le festival d’Avignon est dans son rôle en prenant ces risques. Marthaler et Jan Fabre ont bousculé la donne. Le premier a introduit l’ironie, donnée une grande place à la musique, le second amena une insolence, l’audace de mettre sur scène une belle nudité.
Pour en revenir au répertoire théâtral, une des révélations pour nous c’est Sylvain Creuzevault. Il n’a pas trente ans, il a écrit avec un historien, mis en scène avec de jeunes acteurs sortant de l’école, une pièce sur la terreur, l’affrontement entre Robespierre et les révolutionnaires. C’est un théâtre de texte, de corps, de chanteurs. C’est un immense succès. Je ne crois pas qu’il faille opposer ceux qui s’attachent au texte à ceux qui le déconstruisent. L’essentiel est dans la personnalité, la sensibilité unique de l’artiste, dans le plaisir que donne un spectacle et la beauté qui s’en dégage. Le public ne s’y trompe pas.
Autre découverte, celle de jeunes Japonais que j’ai rencontrés à Tokyo. Il y a deux ans, nous les avons aidés à monter deux spectacles. Ils sont cette année à Gennevillers où leur pièce en japonais sur-titré a reçu un accueil chaleureux.
Le Festival d’Automne s’identifie mal dans l’ensemble de la programmation des salles parisiennes…
C’est un de nos soucis majeurs. Nous sommes le seul festival au monde qui travaille en étroite collaboration avec les théâtres parisiens. Notre mission est de tenter de convaincre les responsables des théâtres de monter un projet avec nous. A la différence de tous les festivals en Europe, nous agissons comme un lien entre le spectacle d’un artiste et une salle de théâtre à Paris. Le Festival d’Automne compte 3000 abonnés. Chacun achète entre 5 et 6 spectacles. C’est considérable en regard d’une saison. Mais le festival n’est pas immédiatement perceptible, Paris est grand.
En terme de création, le festival coproduit environ 25 spectacles de théâtre par saison. Cette année, le comédien Nicolas Bouchaud a convaincu en faisant vivre un dialogue entre Serge Daney et Régis Debray devenu La loi du marcheur ; et le travail de Nikolaï Kolyada, avec un Hamlet émanant d’une vision totalement personnelle et aboutie, avec un apport sauvage, poétique, exacerbé, servie par des comédiens étonnants.
Et la danse ?
L’univers de la danse est de plus en plus varié. De nombreux chorégraphes se tournent vers des performances, mêlent les corps à d’autres arts, d’autres recherchent à inventer un langage purement chorégraphique. Cunningham, qui vient de disparaître, fut le premier à dissocier musique et mouvement des corps en s’imposant comme un créateur de formes et de langages des corps. Forsythe est davantage attiré par des spectacles transversaux. Tout cela évolue et s’éloigne d’un langage spécifique. Pour tous les arts vivants, il y a des cycles.
Faire de l’art vivant aujourd’hui, c’est difficile ?
Il est rare qu’un talent formidable reste méconnu. Mais les spectacles sont chers à monter, il faut qu’on partage les coûts avec les partenaires, trouver des théâtres en France. Ce n’est pas facile. La capacité des théâtres des villes moyennes ou petites est limitée, faire venir le public pour présenter des créations audacieuses est risqué. Le public des vrais amateurs est plus restreint qu’à Paris. Nous avons heureusement des partenaires formidables comme le petit théâtre Garonne à Toulouse. Son directeur Jacky Ohayon est convaincu qu’il faut jouer la carte de la découverte à l’échelle internationale. De notre côté, nous aidons ces structures ambitieuses en essayant de coordonner les invitations, en faisant en sorte de leur faire bénéficier de ce qu’on a monté en amont, à l’automne. Une autre initiative, celle de vingt théâtres de la couronne parisienne qui se sont regroupés pour inviter un metteur-en-scène russe en janvier dernier. C’est la première fois qu’on voit cela.
C’est vraiment une question de budget… Et de règles administratives, de plus en plus lourdes et complexes. Lorsque nous faisons venir des compagnies étrangères, nous devons demander pour chaque intervenant une autorisation de travail. C’est beaucoup plus simple en Belgique par exemple.
Bio
Après une maîtrise de philosophie, Marie Collin fut chargée de production de 1978 à 1980, chargée de programmation au Centre Pompidou de 1982 à 1985, elle est directrice artistique Danse, Théâtre, Arts plastiques du Festival d’Automne à Paris depuis 1982. En parallèle, elle dirigea le Théâtre de Nîmes de 1990 à 1995. Depuis la disparition de son fondateur Alain Crombecque en octobre 2009, Marie Collin partage la direction générale du festival d'Automne avec Joséphine Markovits, directrice artistique Musique.