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Marion Aubert, « je n’ai pas envie de ce monde où les femmes n’ont pas les mêmes chances. »

par Véronique Giraud
Marion Aubert. DR
Marion Aubert. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 03/11/2013
Femme de théâtre, Marion Aubert vient de recevoir le prix Jeune Talent de la SACD. Elle explique sa demande d’ouvrir la direction des institutions théâtrales aux femmes et aux jeunes.

Pourquoi réclamer l’accès des femmes et des jeunes à la direction théâtre publics ?

Une pensée m’habite depuis plusieurs années, celle des représentations, des femmes notamment. J’ai grandi à l’école mixte. Je n’ai jamais eu la sensation d’être regardée, d’être réduite à mon genre. Au Conservatoire, je me suis considérée comme quelqu’un qui écrit, travaille, fait du théâtre. J’avais vaguement conscience que le féminisme avait lutté pour ces questions, pour moi c’était de l’ordre de l’acquis. Et puis j’ai eu des enfants. Je crois que cela a commencé comme ça. Quelque chose de déterminant dans le regard, quelque chose a vrillé, je me suis dit, tiens on me regarde aussi comme une femme, comme une mère.

En 2006, l’année de la naissance de mon fils, j’ai été convoquée avec d’autres femmes, au ministère par Reine Prat, qui avait pour mission de faire un rapport sur la place de la femme dans le spectacle vivant. Avec ce rapport, édifiant, j’ai mesuré à quel point je faisais un métier d’homme. A l’époque, 85% des auteurs joués et 80% des metteurs en scène étaient des hommes. J’en ai peu souffert, faisant figure d’exception. A La Colline par exemple, j’étais la seule auteure programmée.

 

Comment justifier le choix de femmes et de jeunes ?

Ce qui rend passionnant le rapport de Reine Prat, c’est qu’il révèle un vivier de jeunes femmes. Pourquoi ces jeunes femmes ne sont-elles pas directrices de centres dramatiques ? Pourquoi disparaissent-elles ? C’est sa question. Son constat : les femmes elles-mêmes ne s’autorisent pas à se représenter. Je l’ai vécu dans mon parcours. Toutes ces institutions sont dirigées par des hommes. On se dit : ce n’est pas pour moi. C’est vraiment une question de représentation.

 

Quel chemin reste à faire !

Oui, il y a comme une reproduction à l’infini. Dans mon texte Orgueil, poursuite et décapitation, je pointe ces choses là. Les filles c’est des copines. J’ai beaucoup relevé les adjectifs qui sont attribués aux femmes par la presse. Pour moi, c’est Marion Aubert, pétillante, charmante, espiègle. On me demande : qu’est-ce que c’est qu’être une femme qui écrit ? On ne pose jamais cette question à un homme.

Je me bats aussi pour mes enfants je n’ai pas envie de ce monde pour eux. Ce monde où les femmes n’ont pas les mêmes chances. Si on multiplie les regards, on sera plus riches les uns les autres. Les orphelines, la pièce pour enfants que j’ai écrite, est vraiment sur ces choses là. Elle est née d’une commande sur la disparition des filles en Inde, des féticides à partir des échographies.

 

La place du spectacle vivant est davantage dans la ville que sur la scène ?

Il faut des allers retours. Voyager entre archaïsme et modernité c’est la force du théâtre. J’ai moi-même un rapport très archaïque au théâtre, j’ai besoin d’un texte, d’un acteur et d’un spectateur. Le miracle est déjà possible à partir de là. Je pense qu’on a à revenir vers la société civile, en tout cas à ne pas s’isoler, ne pas être des artistes dans des tours d’ivoire, à résoudre l’ambivalence d’un théâtre au service des gens et de gens qui doivent venir au théâtre. Avoir confiance dans les singularités, le théâtre est là pour créer la surprise, étonner, transformer.

On ne doit pas se couper les uns des autres, ni du public bien sûr. On doit avoir souci les uns des autres sans pour autant être au service. On ne doit pas chercher à plaire mais ni avoir de surplomb ni de mépris. S’il y a mépris, on ne se rencontrera jamais.

 

Vous postulez à la direction d’un CDN. Comment assumer à la fois création, découvertes, administration, gestion…

C’est pour cela que nous postulons en binôme, avec Marion Guerrero. Ce n’est pas encore très courant pourtant je pense que c’est la meilleure façon de remplir la mission, de l’enrichir, de multiplier les champs. La tâche est énorme, et c’est une autre manière de diriger, en partageant, en faisant confiance. C’est l’apprentissage de l’altérité, de la différence et, pour moi, le théâtre doit en être l’exemple.

 

 

Bio. Née en 1977, Marion Aubert a créé la compagnie Tire pas la nappe avec Marion Guerrero et Capucine Ducastelle. Auteure d’une vingtaine de pièces (la plupart éditées chez Actes-Sud) qui ont été traduites en allemand, anglais, catalan, italien. Elle vient de recevoir le prix Nouveau Jeune Talent Théâtre 2013 décerné par la SACD (Société des Auteurs et compositeurs dramatiques). De retour de San Francisco, elle interviendra à Brest, Saint-Etienne, Sarrebrück, Tunis…

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