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Montpellier Danse : Ezster Salamon à fleur de peau

par Jacques Moulins
Eszter Salamon, Monuments 0.9 : Replay © Amelie Losier
Eszter Salamon, Monuments 0.9 : Replay © Amelie Losier
Arts vivants Danse Publié le 07/07/2022
Avec une précision chorégraphique qui possède la façon des artisans, la chorégraphe européenne Ezster Salamon signe avec la pièce 09 de sa série "Monuments", un véritable bijou avec le sens du toucher pour argument principal.

C’est à un bijou d’orfèvre, une fine ciselure, une horlogerie de précision que se sont trouvés confrontés les spectateurs de Monuments 0.9 Replay d’Ezster Salamon. Ils ne s’y attendaient pas. Dans le petit théâtre du Hangar, un des lieux de Montpellier Danse, les gradins élevés sur les quatre côtés d’une scène au niveau du sol donnent déjà aux spectateurs une proximité particulière avec les danseurs. Les quatre corps nus allongés qui attendent que tout le monde soit installé pour commencer la performance ajoutent encore à cette intimité qu’aucun décor ne vient protéger. Quatre panneaux refléchissants, suspendus à quatre mères de la scène, empêchent de prendre de la distance à ceux qui se sentent gênés de cette proximité obligée. Nous découvrirons plus tard que proximité et gêne ne sont que ce malaise diffus et tu d’être au monde.

 

Avec sa série intitulée Monuments, la chorégraphe européenne d’origine hongroise a affiché l’intention de « lier la pratique de la danse à son histoire », en l’interrogeant bien entendu comme sait le faire cette artiste formée au classique qui n’hésite pas à proclamer avoir « étudié un langage corporel qui se base sur un non démocratie du corps », un langage qui porte un récit convenu dans lequel elle entend écrire son propre récit basé sur des récits écartés, oubliés, minorés. C’est dire si la série est « politique » et touche à des sujets qu’on traite peu souvent en place publique. Les festivaliers montpelliérains ont ainsi pu voir, avant cette neuvième pièce, la pièce numéro 07, intitulée Mothers, qu’elle a dansé avec sa mère Erzsébet Gyarmati. Il était alors question de la relation mère-fille, dans laquelle se construit la subjectivité féminine. Dans cette pièce 09, la présence comme interprète du chorégraphe brésilien Pol Pi (qui a donné à Montpellier Danse une création les 23 et 24 juin) est également un signe. Il s’agit bien d’explorer des sentiments, des sensations, des expressions, qui ne sont pas souvent de mise sur un plateau.

 

Une œuvre ambitieuse. Monuments 0.9 Replay porte cette ambition. Durant une heure trente, sans jamais rien perdre de leur autonomie, de leur indépendance, se mouvant le plus souvent allongés, les quatre corps vont découvrir les possibilités d’un de nos sens parfois très mal considéré, voire réprouvé par la morale et la religion : le toucher. C’est dire, comme le revendique Eszter Salamon, qu’il n’y aura pas « le luxe d’être dans le non-politique ».

Ils vont le faire dans un seul mouvement que rien ne semble pouvoir interrompre, parfois à deux, parfois à quatre, un mouvement toujours lent mais aussi implacable que la naissance d’une chrysalide, la satisfaction d’une curiosité, l’impériosité d’un désir. Ce mouvement continu est un formidable travail, à la fois sensitif et technique, une belle machine humaine éloignée des standards. Aucun des danseurs ne quittera jamais la scène.

Le corps de l’autre est exploré avec méthode, dans la lenteur qu’exige la véritable curiosité et le respect de l’autre. Chaque mouvement apparaît comme la suite, pas forcément logique, du précédent jusqu’à une gestuelle sexualisée qui interdit tout voyeurisme, toute vulgarité. La représentation même de ce toucher mis en scène est interrogée en contrepoint ou en négation des gestuelles académiques.

 

La peau, rapport à l’environnement. La pièce est rythmée par cinq extraits de poèmes déclamés en voix off. Le premier s’intéresse au toucher « cette sensation qui reste / Dans notre chair. Le désir ardent d’une caresse ». La peau, par laquelle notre environnement est perçu, senti, imaginé, est constamment interrogée par la chorégraphie qui n’ignore pas combien le monde est perçu comme agressif (le deuxième poème s’intitule Bactéries) quand il n’est que le développement lent de la matière que l’activité humaine modifie sans cesse. La mousse, l’eau, le fond de l’océan, les trois derniers poèmes nous font remonter aux origines, les fonds abyssaux, le poisson sorti de l’eau, puis la forêt, lorsque notre toucher était encore notre arme principale de vie et de survie. Un rapport à la terre qui s’est perverti mais semble renaître par la magie de ce mouvement lent, aussi précis qu’inéluctable.

Ezster Salamon n’a pas que le courage de s’attaquer à un tel système de présentation et de représentation. Elle maîtrise aussi méticuleusement le langage chorégraphique. Et possède l’essentiel, l’art de créer.

 

Monuments 0.9 : Replay. Concept, chorégraphie et direction artistique : Eszter Salamon. Chorégraphie, voix et performance : Ghyslaine Gau, Arantxa Martinez, Pol Pi, Lola Rubio, Tamar Shelef. Concept scénographique : Eszter Salamon, Garth Roberts. Scénographie : Garth Roberts. Texte : Eszter Salamon, Elodie Perrin. Composition musicale : Eszter Salamon, Cristián Sotomayor
Création au Hangar Théâtre, 2 et 3 juillet, Montpellier Danse.

 

 

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