Vous n'avez pas de compte ? Enregistrez-vous
Mot de passe oublié ?Pour tout décor, deux grands écrans blancs et un micro posté au centre de la scène. C’est qu’Arkadi Zaides a beaucoup à dire, à dévoiler. Lui qui est né à Gomel, en Biélorussie, et dont la famille a quitté l’Union Soviétique lorsqu’il avait douze ans, a été marqué par la catastrophe de Tchernobyl. La station nucléaire était située à deux heures de son école.
En 2016, il est revenu pour la première fois avec sa mère en Biélorussie. Il y a revu une partie de sa famille et son ami d’enfance qui li confie ressentir comme lui la fêlure de l’avant et de l’après Tchernobyl. Le nuage radioactif a fait couler beaucoup d’encre, dissipé les rumeurs les plus contradictoires, rallié les complotistes, mais, des 600 000 nettoyeurs enrôlés pour nettoyer les matières radioactives au péril de leur santé et de leur vie, on sait peu de choses. La parole ne leur a pas été donnée.
Ému par ce silence, et l’oubli, Arkadi Zaides a d’abord voulu leur rendre hommage, recenser la parole de témoins encore vivants et en faire un film. Mais la pandémie de Covid en 2020, puis l’invasion de l’Ukraine en 2022 ont rendu le voyage et le projet impossibles. Alors qu’un autre nuage, celui gonflé de ce qui est appelé l’intelligence artificielle, progressait avec des possibilités inédites, l’artiste a décidé de fusionner les deux nuages pour en faire une performance. Elle a été présentée trois soirs au festival Montpellier Danse.
En premier lieu les deux immenses écrans affichent une image fixe et étonnamment belle de la destruction de bâtiments. Son titre est d’ailleurs poétique : Lavender. Une voix s’élève alors qui explique que Lavander est en réalité le nom attribué à un système IA qui guide les bombardements, ciblant avec précision sans quasiment aucun contrôle humain. L’image choisie résulte d’une de ses « performances ».
Les données de l’IA résulte de données fournies par l’homme. Celles qu’Arkadi Zaides a rassemblées sont ses propres souvenirs, des photos, images et documents vidéos de l’époque, et un long texte biographique, qu’il lit en anglais. Instantanément, au son de sa voix, le texte s’affiche sur écran, les photos viennent s’interposer. La voix devient matière, les souvenirs prennent forme numérique, l’une et les autres se déplacent sans cesse sur l'écran, sans construire une narration logique. La chronologie et le sens restent dans ce que nous dit Arkadi. Parfois les faits sont contredits, ainsi les images et vidéos montrant les visages interdits des hommes, civils et militaires, qu’une voix assure avoir été testés en bonne santé, puis que l’on envoie en zone interdite, guidés par des ordres improvisés tant la situation est inédite, comme ne pas dépasser une minute quarante d’exposition. La suite a montré que quasiment tous ont été malades par la suite et que beaucoup sont morts. Comme le montre une archive vidéo, le gouvernement et l’armée se sont déplacés pour, devant les caméras, les qualifier de courageux, les honorer d’un prix et leur promettre une récompense de quelques centaines de roubles.
Tous ces liquidateurs portaient une combinaison susceptible de les protéger des radiations. Arkadi en a commandé une sur la plateforme e-bay. Après avoir inondé les contours de la scène d’ordres inaudibles, il s’en revêt. De l’ombre surgit alors une autre silhouette, vêtue elle aussi de la combinaison protectrice. Au son de la voix d’Arkadi, la combinaison s'anime, entame des mouvements, parcourt la scène d’une marche courbée, lovée, enfermée, cherchant à s’étirer avant de retomber pliée, agenouillée. Incarnant à elle seule le rempart illusoire fourni aux corps de centaines de milliers d’hommes exposés à un risque inconsidéré.
The Cloud, Concept et direction : Arkadi Zaides. Dramaturgie: Igor Dobricic. Développement de l’IA et son: Axel Chemla–Romeu-Santos. Interprétation: Axel Chemla–Romeu-Santos, Misha Demoustier, Arkadi Zaides. Cinématographie: Artur Castro Freire. Lumière: Jan Mergaert. Les 22, 23, 24 juin, Studio Bagouet de l'Agora, dans le cadre du Festival Montpellier Danse 2024.
Né en 1979, Arkadi Zaides est un danseur, chorégraphe et artiste visuel originaire de Biélorussie. Il a immigré en Israël avec sa famille à l’âge de onze ans et il vit et travaille actuellement en France, sa compagnie Institut des Croisements est basée à Villeurbanne (69) depuis 2015. Il a dansé en Israël au sein de la Batsheva Dance Company et Yasmeen Godder Dance Group avant de se lancer dans une carrière indépendante en 2004.
Depuis plusieurs années, la pratique artistique d’Arkadi Zaides revêt une approche documentaire, une pratique qu’on pourrait appeler la chorégraphie documentaire en référence au théâtre documentaire.