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Nationalismes et culture, le ménage impossible

par Jacques Mucchielli
En octobre, les régionalistes au pouvoir en Lombardie et Vénitie ont organisé un référendum pour l'autonomie. © Mucchielli / Naja
En octobre, les régionalistes au pouvoir en Lombardie et Vénitie ont organisé un référendum pour l'autonomie. © Mucchielli / Naja
Hors-Champs Politique Publié le 06/12/2017
Avec l’élection du populiste Andrej Babis en république tchèque, les nationalismes que les Européens vouaient, il y a seulement une génération, aux poubelles de l’histoire, confirment leur retour. La culture, avec les médias, l’éducation et la justice, est immédiatement dénoncée pour son manque de nationalisme. Le metteur en scène hongrois Arpad Schilling vient d’en faire les frais.

En 1974, les Grecs se débarrassaient de la dictature des colonels, le Portugal vivait la révolution des œillets. L’année suivante mourait Franco. Une explosion culturelle transperçait les frontières de la vieille Europe des guerres d’hégémonie et de succession. Les seventies britanniques, la Movida espagnole étaient bientôt rejointes par un autre raz-de-marée venu de l’Est qui emportait le mur de Berlin. Les jeunes Européens enthousiastes pensaient alors en avoir fini avec les nationalismes qui avaient tant ravagé les générations de leurs parents et grands-parents. Une génération plus tard, les voilà revenus.
Sans surprise, sans imagination aussi, les dirigeants de ces mouvements qui allient populisme et nationalisme héritent de l’ADN de leurs prédécesseurs. Et, sitôt au pouvoir, commencent par limiter l’information, encadrer l’éducation, orienter la création culturelle. Ils peuvent s’afficher plutôt libéraux en Slovaquie et en Autriche, plutôt sociaux en Pologne et en Hongrie, mais tous s’en prennent aux faits et à la pensée. Ces gouvernements autocratiques préfèrent, à la liberté d’informer, d’analyser et de penser le monde, le réflexe nationaliste comme prisme de leur politique culturelle.

 

La culture ? Nationale bien sûr ! Le « multiculturalisme », notion ambigüe par laquelle ces nouveaux autocrates désignent l’essence même de la dégénérescence d’un peuple apparaît dans tous leurs discours. Le leader du PiS polonais au pouvoir, Jaroslaw Kaczynski, affirme « Le multiculturalisme ne fonctionne pas, alors (les Polonais) ne veulent pas de ça ici ». Même discours chez le nouveau premier ministre tchèque Andrej Babis investi le 6 décembre dernier pour qui le multiculturalisme est un échec, ou le populiste Viktor Orban qui donne sa définition du terme : « Le multiculturalisme, cela veut dire la coexistence de l'islam, des religions asiatiques et du christianisme. Nous ferons tout notre possible pour épargner cela à la Hongrie ». Ainsi employé, le terme évoque plus les traditions culturelles et religieuses que la création culturelle. Mais l’un ne va jamais sans l’autre.

Ainsi le metteur en scène et fondateur du Théâtre Krétakör, Arpad Schilling, à qui l’on doit une mise en scène remarquée du Baal de Brecht au théâtre de l'Odéon à Paris en 2000, vient d’annoncer sa décision de cesser de créer en Hongrie après qu’un membre du Comité de sécurité nationale l’a accusé de faire courir « un risque sérieux » à la sécurité du pays. En Hongrie toujours, le premier ministre Viktor Orban a supprimé le ministère de la culture et les subventions aux compagnies indépendantes, et promu une loi qui lui permet de contrôler les médias qui n’ont pas encore cessé de paraître.

 

Partout les mêmes attaques. En Pologne, les attaques nationalistes vont tous azimuts. Un jour, le gouvernement entend retirer l’ordre du mérite à l’historien Jan Tomasz pour avoir révélé le rôle de citoyens polonais dans le pogrom de Jedwabne. Un autre, Piotr Glinski, ministre de la culture, veut fusionner le musée de la seconde guerre mondiale « trop universel » de Gdansk avec une nouvelle entité plus patriotique. Le lendemain, la direction du célèbre Polski de Varsovie tombe dans les mains d’un homme du parti au pouvoir étranger au monde du théâtre.

En Slovaquie, le leader d’extrême-droite Marian Kotleba élu président de la région de Banska Bystrika en 2013 juge décadent l’art contemporain et coupe les subventions. Notamment au centre chorégraphique, qui a dû licencier, et à une compagnie de théâtre qui présentait dans les classes une pièce contre la xénophobie. Le « Vodca » (Guide ou Führer, c’est ainsi qu’il se fait appeler) a préféré créer un concours de Miss collège. Marian Kotleba a été battu aux élections régionales en novembre, mais les milieux culturels craignent une alliance nationale avec la droite classique. Car le premier ministre Robert Fico, a priori social-démocrate, a préféré passer une alliance avec la droite nationaliste plutôt que de perdre le pouvoir.

 

Avec l'Autriche, la vague se rapproche. On peut se rassurer en se disant que les pays de l’ancien bloc communiste n’ont pas de tradition démocratique suffisante. Mais cette semaine, c’est en Autriche que l’extrême-droite nationaliste prépare son entrée au gouvernement. Après la victoire du jeune conservateur Sebastian Kurz aux législatives d’octobre, ce dernier a annoncé son intention de gouverner avec le FPÖ. Son leader, Heinz-Christian Strache, exige le ministère de l’intérieur, autorité de tutelle des sites des anciens camps de concentration, alors que son parti a été fondé par d’anciens nazis loin d’être repentants. Un rapport de ce ministère que brigue Strache soulignait que le FPÖ a la volonté « de faire accepter par des chemins détournés l’idéologie nationale-socialiste ». En 2000, les deux partis avaient déjà fait alliance pour gouverner, mais les dissensions au sein du FPÖ avaient éliminé l’extrême-droite. Aujourd’hui, le parti est uni. Et les démocrates ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur une solidarité des citoyens européens qui, pour l’instant, reste faible.

Le danger n'est pourtant pas très éloigné des vieilles puissances démocratiques. Le nationalisme de Donald Trump, le vote britannique en faveur du Brexit est là pour nous le rappeler. Au sein des régions européennes, la question se pose également. Deux partis nationalistes ont déjà pris le pouvoir dans les régions italiennes de la Vénitie et de la Lombardie. Et se sont empressés d'organiser un référendum pour l'autonomie, autorisé en Italie s'il n'est que consultatif. Ils ont remporté haut les mains cette consultation sans incidence autre que sur le rapport de force politique. Un début quand même.

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