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« Parler Pointu » rend gloire aux accents et à l’Occitan

par Élisabeth Pan
Au premier plan, Benjamin Tholozan auteur et interprète de Parler Pointu, à ses côtés le musicien Brice Ormain. DR
Au premier plan, Benjamin Tholozan auteur et interprète de Parler Pointu, à ses côtés le musicien Brice Ormain. DR
Arts vivants Théâtre Publié le 21/06/2024
Avec « Parler Pointu », Benjamin Tholozan et Hélène François s’inspirent avec intelligence et humour d’une expérience bien connue des sudistes : le passage forcé à l’accent parisien. L’occasion de donner la parole à l’Occitan, qui se perd au fil des générations, à travers de savoureuses anecdotes, parfois cruelles.

Auteur et acteur de sa pièce Parler Pointu, Benjamin Tholozan y convoque sa propre histoire à travers la difficulté d’avoir un accent, d’où qu’il vienne, dans le théâtre aujourd’hui. La pièce est co-écrite et mise en cène avec Hélène François, dont la mère née à Madagascar a elle été forcée à apprendre le français. Quittant le sud, Benjamin est parti se former aux Cours Florent à Paris. Il y apprend à parler le « français neutre », c’est-à-dire à effacer son accent. Lorsqu’il rentre à Montpellier, son grand-père lui fait remarquer qu’il parle « pointu », terme qui désigne l’accent parisien pour les sudistes. Perdre son accent dans le sud de la France, c’est effacer une partie de son histoire, comme Benjamin Tholozan l'apprend de son « pépé », aujourd’hui décédé, qu’il incarne dans la pièce. Il en parle avec amour et nostalgie, rappelant ses bons côtés comme ses plus sombres, quand son homophobie lui fait refuser de rencontrer le partenaire de son petit-fils.

Créée au Printemps des Comédiens de Montpellier, la pièce parle beaucoup aux spectateurs de Saint-Gély-du-Fesc, où elle est jouée. Elle est agrémentée de moments musicaux incarnés par Brice Ormain, qui joue tous types d’instruments sur scène, et joint sa sa voix à celle de Benjamin Tholozan pour reprendre des chants occitans. Les spectateurs ont chaleureusement repris ces chansons, emplis de la nostalgie d’une époque où la langue d’Oc était plus parlée que le français dans la région. Musique, lumières, décors soulignent le propos. Tout comme le geste hospitalier des verres de pastis que Benjamin Tholozan offre au public avant de jouer et du plat des plus rocambolesques que le comédien cuisine sur scène.

 

Pour ce rôle, Benjamin Tholozan reprend l’accent de son grand-père, et change sans cesse de voix et d’accent pour interpréter pléthore de personnages, de sa belle-sœur au roi Louis XIV. Ce dernier avait d’ailleurs, on l’apprend, une sorte d’accent "québécois", que le comédien applique pour parler de la création du premier dictionnaire français… et de son absurdité. En se renseignant sur la voix du Roi Soleil, il a appris que sa tessiture exacte, il était baryton, est connue aujourd’hui grâce à un opéra qu’il avait chanté. On sait également qu’il zozotait à cause d’une opération qui lui avait fait perdre les incisives. C’est avec ce savoir documenté que l’acteur donne une voix très inattendue au monarque.

Le dédain avec lequel est traité l’accent du sud est souligné, notamment lorsque Benjamin Tholozan parle d’une audition que son grand-père aurait peut-être (ou pas, puisque pépé changeait la plupart de ses anecdotes au cours des ans) passée pour le rôle du « toreador » Escamillo dans Carmen. Un chanteur excellent aurait auditionné et été refusé à cause de son accent prononcé, bien que le rôle soit espagnol. Il aurait alors rétorqué qu’il n’avait pas d’accent, ce à quoi les producteurs parisiens auraient ri et dit qu’eux avaient un accent « neutre », ne prenant pas en compte que, dans le sud, c’était en fait eux qui avaient un accent. La tante du jeune homme aurait été tellement scandalisée par le traitement des sudistes à l’opéra qu’elle aurait mis le feu au théâtre municipal de Nîmes, dont les ruines sont aujourd’hui visibles sur l’autoroute A54, entre un parking, des toilettes et des travaux.

La pièce revient sur l’histoire de ce « patois » occidental, qui a inspiré l’accent chantant du sud. Rappelant que, dans les années 40, les enfants de la France entière qui avaient grandi avec leurs langues régionales, parlaient peu, et pour certains pas du tout, français. Les instituteurs les forçaient cependant à ne parler que français, et infligeaient la punition du « symbole », qui consiste à forcer les enfants à porter une brique sur leur tête lors des pauses. Ils n’avaient le droit de la retirer que pour la donner à un autre enfant qu’ils entendraient parler patois. A la fin de la journée, celui qui avait la pierre recevait des coups de martinet. C’est ainsi que les langues régionales ont été battues.

 

Parler pointu, écriture et jeu Benjamin Tholozan. Écriture et mise en scène Hélène François. Avec Benjamin Tholozan et Brice Ormain. Les 11, 12 et 13 juin, Scène en Grand Pic Saint-Loup, Saint-Gély-du-Fesc. Dans le cadre du Printemps des Comédiens.

Du 3 au 21 juillet, dans le Festival OFF d’Avignon, au théâtre de la Manufacture, à 19h15. Également le 17 juillet au Festival CONTRE COURANT d’Avignon, et le 30 juillet au Théâtre du Fort Antoine de Monaco.

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