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Photographier la guerre, toute une histoire

par Véronique Giraud
Née en Pologne, réfugiée en Belgique, exilée à Marseille, Julia Pirotte témoignera encore des camps de concentration et du pogrom de Kielce en 1946. Ses photos sont exposées au Mémorial de la Shoah, à Paris, jusqu’au 30 août. © Tréviers/Naja
Née en Pologne, réfugiée en Belgique, exilée à Marseille, Julia Pirotte témoignera encore des camps de concentration et du pogrom de Kielce en 1946. Ses photos sont exposées au Mémorial de la Shoah, à Paris, jusqu’au 30 août. © Tréviers/Naja
Arts visuels Photographie Publié le 31/03/2023
Journaux et écrans sont à nouveau occupés par des photos de guerre. De nombreuses expositions montrent ces images qui mêlent témoignages, aperçus de la réalité, esthétisme et preuves futures pour les tribunaux.

En photographiant pendant plus d’une décennie, entre 1986 et 1999, les lieux de déportation et du système concentrationnaire nazi, Michael Kenna a construit un objet puissant et sensible. Son travail autour de la mémoire des camps est le fil rouge de l’exposition organisée au Mémorial du camp de Rivesaltes, d’où, il y a 80 ans, partirent 2289 hommes, femmes et enfants juifs en 9 convois vers Auschwitz-Birkenau. L’exposition Une mémoire photographique propose un dialogue entre les images des anciens camps nazis et celles que le photographe a réalisées à Rivesaltes en 2022 à l’occasion d’une résidence de création.

Au même moment, à Paris, le Mémorial de la Shoah rend hommage à une femme photographe engagée et résistante. Née en Pologne, réfugiée en Belgique où elle apprend la photo, puis à nouveau sur le chemin de l’exode, Julia Pirotte s’installe à Marseille en 1940. La jeune femme arpente alors la région pour les journaux, le Dimanche illustré, la Marseillaise, le Midi Rouge, mettant la photographie au service des causes qu’elle défend : les conditions de vie précaires des habitants du Vieux-Port, les enfants juifs du camp de Bompard, les maquis de la Résistance. Après la guerre, elle retourne en Pologne où elle pose un double regard sur son pays en reconstruction où l’antisémitisme n’est pas mort. En 1946, alors qu’elle est l’une des seules photographes présente à Kielce juste après le pogrom, elle réalise l’un de ses reportages les plus poignants, témoignage de l’antisémitisme toujours virulent.

 

La photographie comme arme. Si la guerre et l’image entretiennent des rapports étroits, c’est que l’événement auquel les populations se refusent souvent à croire, comme cela a été le cas pour l’invasion de l’Ukraine, a besoin d’être documenté. « Une image vaut mille mots » rappelle Jean-François Leroy dans l’entretien qu’il nous a accordé. Dès 1854, lors de la guerre de Crimée, la photo a documenté le conflit. Les tirages du premier photographe de guerre, le britannique Roger Fenton, ont été exposés l’an dernier au château de Chantilly. Mais ce n’étaient pas alors des photos de combat. Les premiers instantanés d’un front de guerre datent de 14-18, inaugurant la prise de vue « sur le vif ». Il s’agissait alors de montrer la réalité des champs de bataille, une réalité qui, en l’occurrence, servira aussi de propagande avec l’omission de la diffusion des cadavres français.

Aujourd’hui, les photographies des civils morts en Ukraine et des impacts des bombardements sont aussi destinées à l’après, aux procès futurs, alimentant l’espoir d’une justice à venir. La photographie devient alors elle-même une arme.

Une arme de lutte sociale aussi : en 2022, l'exposition Femmes photographes de guerre a rassemblé les œuvres de huit des plus connues, dont Lee Miller et Susan Meiselas, qui ont couvert 75 ans de conflits internationaux entre 1936 et 2011. Était mise en évidence l’implication des femmes dans les guerres, qu’elles soient combattantes, victimes ou témoins.

 

Raconter la guerre autrement. Au Musée des armées, Photographies en guerre offrait, au printemps 2022, un panorama non pas des conflits mais de leur représentation par l’image depuis l’usage de l’appareil photo. La seconde guerre mondiale fut sans doute le conflit le plus documenté. Il y a un avant et un après. Certaines photographies sont devenues des icônes, largement diffusées, reprises, détournées.

Bien que banalisée, l’image d’actualité reste indispensable. Sans elle le terrain de guerre n’existe pas vraiment. Mais les façons de l’aborder diffèrent. Ainsi, la photojournaliste Orianne Ciantar Olive a voulu rendre visible d’autres réalités que celle des armes, s’intéressant à la parole et au quotidien de la jeunesse ukrainienne dans le pays en guerre. « Beaucoup de consœurs et de confrères sont partis couvrir le conflit en Ukraine du jour au lendemain, la plupart sans aucune expérience du terrain de guerre, sans commande, sans assurance. Ça m’a beaucoup interrogé. Je me suis demandé comment en tant que photographe me positionner dans ce conflit en essayant de raconter la guerre autrement » explique-t-elle. En deux jours, elle a créé Stuck in Here, qui lui a permis de faire un appel aux jeunes Ukrainiens pour recueillir leurs photos, vidéos et témoignages. Stuck in Here est aussi un compte Instagram participatif où elle sélectionne les images qui lui sont envoyées.

Cette exigence de ne pas résumer la guerre à ses batailles est encore au cœur du travail de Yan Morvan. Après avoir circulé sur tous les conflits pendant vingt ans, celui qui est considéré comme l’un des plus grands photojournalistes français a décidé de « documenter la guerre autrement, de témoigner d’une réflexion sur l’image et de la réalité de la guerre ». En 2004, avec une chambre photographique, il a voyagé sur les traces d’anciens, parfois très anciens, lieux de batailles en Europe et dans le monde, offrant une vision singulière du passé. Ses photos sont réunies dans l’ouvrage Champs de bataille (paru aux éditions Photosynthèses).

 

Un journalisme d’enquête. Les intentions d’une photo sont plurielles : informer, prouver, convaincre, alerter, dénoncer, témoigner, se souvenir… voire esthétiser la guerre, la mettre en scène. Pour le photoreporter, l’enjeu est de l’ordre de l’honnêteté, de sa sensibilité à l’autre, de la dignité humaine. Le moment d’avant un bombardement, et celui d’après quand les ruines et les corps inanimés font état de la violence de l’attaque sont les plus répandus. Les images montrant les corps de civils exécutés dans les rues de Boutcha, les mains attachées, ont fait franchir un cap dans l’horreur vécue en Ukraine. « Sur le massacre de Boutcha, au début de la guerre, pour que l'on comprenne bien que ces gens n'avaient pas été tués pendant des combats mais exécutés, les journalistes sont devenus des journalistes d'enquête » explique le célèbre reporter de guerre Patrick Chauvel, dont les photos prises ces cinquante dernières années sur les théâtres de la guerre, du Vietnam à l’Ukraine, sont actuellement exposées au Mémorial de Caen.

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