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« Anatomie du désir » : Boris Gibé installe Vénus sous son chapiteau

par Véronique Giraud
Le corps de Boris Gibé et celui de la Vénus anatomique forment un personnage hybride. ©Martynas Plepys
Le corps de Boris Gibé et celui de la Vénus anatomique forment un personnage hybride. ©Martynas Plepys
Sous le chapiteau Panopticum anatomique de la compagnie Les choses de riens ©Martynas Plepys
Sous le chapiteau Panopticum anatomique de la compagnie Les choses de riens ©Martynas Plepys
Venus anatomique, se détachant en 40 parties, conservée au musée de la faculté des sciences de Montpellier. ©RMN-Grand Palais : image RMN-GP
Venus anatomique, se détachant en 40 parties, conservée au musée de la faculté des sciences de Montpellier. ©RMN-Grand Palais : image RMN-GP
Arts vivants Cirque Publié le 02/06/2023
Inertie de la beauté féminine, danse macabre du vivant, avec "Anatomie du désir", Boris Gibé oblige le spectateur à se confronter, dans une quasi obscurité, à maintes sensations contradictoires. Un geste artistique magistral qui s’appuie sur des curiosités du siècle des Lumières !

Les Lumières éclairent le siècle, mais aussi l’intérieur du corps humain resté si longtemps mystérieux et interdit au regard. En ce XVIIIe si avide de connaissances, vient l’idée de contrer le dégoût pour nos organes en faisant appel à l’art. Des statues inspirées des peintures de la Renaissance vont permettre au grand public et aux futurs médecins de découvrir le fonctionnement de la nature humaine qui n’est pas qu’esprit. Ces « Vénus anatomiques » sont des femmes en cire grandeur nature, nues, souvent coiffées de vrais cheveux humains, dotées d’yeux de verre, parfois habillées de bijoux. En ouvrant leur buste, leur visage pour certaines, apparaissent les organes qui peuvent être observés, voire désassemblés pour être saisis. Une de ces Vénus est exposée au musée des Sciences de Montpellier, ville où le Printemps des Comédiens a invité Boris Gibé dans la prairie du Domaine d’O.

Le circassien s’est saisi d’une de ces Vénus pour monter son spectacle Anatomie du désir, installé dans un Panopticum anatomique qui renvoie à une autre invention du siècle des Lumières. Le panoptique est une structure architecturale qui a été imaginée par le philosophe Jeremy Bentham et son frère, repensant l’enfermement carcéral en permettant d’observer tous les prisonniers, leur donnant le sentiment d’être constamment surveillés. La structure architecturale a été par la suite utilisée pour donner forme aux théâtres anatomiques, dont s’inspire le chapiteau de la compagnie. Les spectateurs deviennent alors des scrutateurs.

 

De l’inertie au mouvement du vivant. Occupant la scène, le corps nu d’une Vénus, inerte, offerte aux regards. Le public a d’abord le temps de se familiariser à l’étrange apparition. Puis le mouvement s’insinue, avec lenteur et douceur, jusqu’à déplacer son buste cachant des organes d’allure si réelles, qui ne tardent pas à s’émanciper. Le foie, les reins, l’intestin, l’estomac, plus vrais que nature, se désolidarisent du corps et s’immobilisent pour observer le public de leurs grands yeux. Le vivant est donc si effrayant qu’il doive être enfermé dans de beaux atours pour être enseigné ? C’est une des réflexions que met en lumière le spectacle.

 

Un jeu de tous les sens. Pour appuyer son propos, l’artiste joue entre obscurité et lumière, entre apparence et intérieur, puis entre inertie et vitalité grâce à des mains manipulatrices qui l’entourent. Utilisant des électro-stimulateurs qui envoient des électro-chocs, le visage danse, le corps vibre de violents sursauts. Fondant avec agilité ses épaules, ses bras, son visage dans et avec cette Vénus de cire, le circassien s’échappe au final et, de son corps leste aux muscles saillants, il s’envole en une danse aérienne avant de plonger définitivement dans une complète obscurité. Porté par les notes puissantes du Tristan et Isolde de Richard Wagner qui emplissent le chapiteau, Boris Gibé joue avec tous nos sens, de l’effroi à la fascination, de l’empathie au dégoût, obligeant le public à composer avec l’obscurité et réveillant ses papilles avec de mystérieuses mignardises. Les sonorités du concepteur de l’œuvre d’art total amplifient la dramaturgie, jouent de la démesure, transportent dans la fiction.

 

De la structure à l’objet du désir. Boris Gibé est un circassien qui a tout de singulier, jusque dans l’art d’inventer son propre univers. Après son chapiteau-phare, chapiteau rehaussé d’une salle de veille et d’une lanterne, pour le spectacle Le Phare, après son chapiteau silo de quatre étages dans lequel les spectateurs s’avançaient dans le noir, le long des parois métalliques, pour assister silencieusement à L’absolu, son chapiteau Panopticum anatomique laisse une inédite et très forte impression. Il devient le théâtre du désir, comme l’annonce le titre de son dernier opus. Un désir que vient bouleverser l’anatomie humaine, sujet et objet constants de notre curiosité et de recherches scientifiques. Forçant l’irruption du XVIIIe siècle dans le nôtre, l’artiste met en scène « l’ambiguïté entre désir de savoir et celui de pulsion, thème épineux aujourd’hui » ainsi qu’il le formule.

 

Anatomie du désir, les 1er, 2, 3, 4, 7, 8, 9, 10 juin au Printemps des Comédiens, 21h, Chapiteau Prairie, 178 Rue de la Carriérasse, Montpellier.

Conception, mise en piste & interprétation Boris Gibé, regard extérieur Elsa Dourdet, regard chorégraphique
Aragorn Boulanger, conseil dramaturgique Taïcyr Fadel, réalisation sonore, régie générale et plateau Olivier Pfeiffer, cuisine, manipulation et régie plateau Marion Boire & Julien Lechevin, réalisation lumière Victor Egéa.

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